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leur tolérance. Elle n’a pu se développer et grandir qu’après la suppression du timbre et de l’impôt sur le papier. Mais elle rencontre un obstacle à sa croissance dans la diversité des dialectes qui enferme chaque organe dans une zone relativement restreinte. La rareté de l’annonce, la pauvreté générale, la multiplicité même de ces feuilles, le manque de talent, de bonne foi, d’autorité chez la grande majorité des rédacteurs, telles sont les causes qui maintiennent la presse indienne dans une sorte d’enfance. Beaucoup de journaux, y compris ceux qui sont rédigés en anglais par les natifs, végètent avec un tirage de huit cents à quatre mille. On cite comme une exception un journal hebdomadaire du Bengale, qui atteint un tirage régulier de vingt mille. Le fameux numéro du Keseri, en langue mahratte, qui a fait tant de bruit, il y a deux ans, et valu une si dure condamnation à l’écrivain n’atteignait pas un tirage utile de sept mille. Mais les journaux passent de main en main et leur influence est plus grande que ces humbles chiffres ne le feraient supposer.

J’ai lu un certain nombre de ces journaux : je les ai trouvés très inférieurs à ce que me faisaient espérer les procès-verbaux du Congrès. Le journaliste indien a peu de connaissances économiques ; il ignore l’histoire de son propre pays presque autant que celle des nations occidentales. Ses articles sont encore plus mal pensés que mal écrits. On n’y trouve point une série d’argumens connexes, une progression dialectique, une démonstration qui marche des prémisses à la conclusion, mais un assemblage de phrases sans lien, des métaphores, des hyperboles et surtout des personnalités. Sur ce point, le journaliste indien semble avoir pris pour modèle et pour type la basse presse de New-York et de San-Francisco.

Pratiquement, les journaux de l’Inde sont libres. Faute d’une législation spéciale, le gouvernement est dans la nécessité ou d’ignorer les excès de la presse, ou de transformer en « crimes » ce que nous appellerions « délits. » Il prend d’ordinaire le premier parti. Deux fois seulement en vingt-huit ans, il s’est souvenu qu’un article inséré en 1870 dans la loi criminelle lui permettait d’assimiler à la sédition patente et à la trahison effective toute « tentative pour semer la désaffection. » La désaffection, mot hypocrite et vague qui doit déplaire à un juriste honnête homme !

C’est avec cet article qu’on a frappé M. Tilak en 1897.