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REVUE DRAMATIQUE

LA QUESTION DE LA COMÉDIE FRANÇAISE

Nous autres Français, quand il ne s’agit que des destinées de notre pays, de l’avenir de notre fortune publique ou des droits de notre conscience, il semble que nous soyons un peuple indifférent ; mais sitôt que les choses et que les gens de théâtre sont en jeu, on voit tout de suite que nous sommes capables de passions vives. Il y a quelques semaines la nouvelle de la démission de M. Le Bargy éclatait brusquement. M. Le Bargy quittait la Comédie, comme on la quitte, en faisant « laquer les portes. L’effet produit par cet événement fut considérable. Paris ne se couvrit pas de barricades, car les temps héroïques sont passés. Mais la presse s’émut. Quand la presse s’émeut, on devine aussitôt ce qui va suivre. On ne s’attend à rien de très propre. Dans le cas présent ce à quoi on en veut c’est à la « place » de l’administrateur général ; une place est une place, et il paraît que l’occasion est bonne pour en déloger M. Claretie. Quoi de plus simple que de récolter pour les lui envoyer en pleine figure, les commérages, les potins, les ragots, les insinuations, les médisances, — et les grossièretés, — ce qui se débite entre « amis » de la maison, ce qui traîne dans la loge du concierge, ce qui se ramasse dans les coulisses avec la poussière du dernier insuccès ? Donc on s’est mis à nous conter sur le mode tragique, avec des gestes bouffons d’accusateur public, des anecdotes saugrenues ; on nous a « rapporté » les on-dit, un propos qui aurait été tenu et un autre qui aurait pu l’être, un mot de M. Truffier, une repartie de M. Leloir, une réflexion de M. Prudhon, une interjection de M. Worms, un tas de niaiseries. Il coule le long des colonnes de journaux tout ce qu’il a pu en quinze ans s’amasser de fiel dans l’âme des auteurs