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aux mille difficultés des entreprises commerciales, dans un temps où les affaires sont dures, escomptent par avance le succès qui ne vient pas toujours et dont, la plupart du temps, les bénéfices sont déjà mangés par un long arriéré de déveine. On fait de l’argent à la Comédie ; raison de plus pour qu’on y fasse de l’art.

Seulement c’est ici le point faible. Nous n’avons nous-même depuis longtemps cessé de le signaler. De plus en plus, la troupe est insuffisante et inférieure à sa tâche. Le seul ensemble qu’elle réalise est obtenu par la fusion des médiocrités individuelles. Incapable d’interpréter les œuvres classiques parce qu’elle manque de style, elle ne réussit pas mieux dans les romantiques parce qu’elle manque de panache, et échoue généralement dans les modernes, parce qu’elle manque de justesse autant que de fantaisie. Nous faisons exception, bien entendu, pour quelques artistes de premier mérite, tels que Mme Bartet, M. Mounet-Sully et d’autres dont les noms se présentent tout de suite à l’esprit. Le nombre est grand et s’accroît sans cesse, des pièces qu’on doit renoncer à jouer, faute d’artistes pour en tenir convenablement les rôles principaux : cette indigence ne se fait pas moins sentir dans les pièces qu’on est obligé de représenter quand même. Les pièces du répertoire s’en vont, les pièces nouvelles tombent comme des châteaux de cartes. Les soirées se succèdent sans éclat. Nous en sortons déçus, avec une impression de débandade et de déroute. Il ne s’agit ici ni de contester ni de diminuer la part de responsabilité qui incombe à M. Claretie dans cet état de choses. Mais nous savons, comme tout le monde, qu’il n’est pas seul coupable. Nous avons trop peu de naïveté ou trop de bonne foi pour en appeler à l’administrateur providentiel qui, rien qu’en le voulant, susciterait des chefs-d’œuvre, et ferait se lever des constellations d’étoiles. Les questions ne sont pas si simples. Dans celle qui nous occupe, nous voudrions signaler à leur rang telles responsabilités qu’on affecte d’ignorer, et qui y sont profondément et gravement engagées.

En premier lieu, celle de l’ancienne direction. M. Perrin avait pour lui le succès. Rien ne réussit comme le succès. On lui fit un mérite de tout ce qui passe aujourd’hui pour être criminel. Le fait est que la plupart des pratiques, dont on aperçoit maintenant les résultats désastreux, datent de lui. Quel irréductible scepticisme il eût opposé aux moyens sûrs que préconisent nos intègres régénérateurs du grand art ! Ce n’est pas sur lui qu’il eût fallu compter ni pour entretenir le répertoire ni pour faire appel aux jeunes auteurs, ni pour faire donner la jeune troupe. Il connaissait le public, et celui notamment qu’il venait