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cette pensée, loin de l’attrister, ne manquait pas d’amener un sourire sur les lèvres de cet habile homme.

Engagée dans la voie du moderne, la Comédie devait voir sa fortune dépendre de la valeur de la production dramatique contemporaine. Or il se trouve qu’elle a été sensiblement inférieure à celle de la période précédente. Il paraît que les « auteurs de la maison » sont mécontens. S’ils sont mécontens des œuvres qu’ils ont apportées à la maison, il faut convenir qu’ils n’ont pas tort : on est tout prêt à faire écho à leurs lamentations. Ils se plaignent ; nous nous plaignons avec eux. Nous nous plaignons qu’ils aient écrit des Martyre et des Frédégonde, Struensée et la Reine Juana, Antoinette Rigaud et la Bûcheronne, et Grosse fortune et la Paix du ménage et Mieux vaut douceur, et d’autres pièces si dénuées de fantaisie et d’observation, de mouvement et de style ! Il est vrai qu’on pouvait ne pas les jouer. Mais puisque après tout il faut bien, de temps en temps, monter des pièces nouvelles, où sont donc ces œuvres que la Comédie se fût fait honneur d’accueillir, où ces écrivains qui rien qu’en paraissant auraient ramené la prospérité rue Richelieu ? Il semblerait, à entendre certaines récriminations, qu’il n’y ait qu’à choisir parmi le nombre des ouvrages qu’offre à pleines mains une foule de dramaturges éminens. Quelles sont donc ces pièces jouées sur d’autres théâtres et qui eussent fait bonne figure à la Comédie ? On en cite trois ou quatre : Pour la Couronne et le Chemineau, le Prince d’Aurec et Cyrano de Bergerac. Ecrit pour M. Coquelin, Cyrano eût sans doute beaucoup perdu à n’être pas joué par l’acteur pour qui le rôle avait été taillé sur mesure. Avec le Prince d’Aurec on a craint de désobliger une catégorie d’habitués ; il se peut que ce scrupule fût excessif ; mais surtout, puisque M. Lavedan a été une fois capable d’écrire une œuvre d’une aussi incontestable valeur, pourquoi s’est-il obstiné à ne pas recommencer ? Pourquoi a-t-il gâché le talent dont il était si richement doué, et pourquoi s’est-il réduit à nous donner des Viveurs, des Nouveau Jeu et des Vieux Marcheur ? Et enfin parce qu’une pièce s’est honorablement comportée sur une scène de genre, s’ensuit-il qu’elle en eût aussi vaillamment affronté une autre où nous avons le droit d’apporter des préoccupations plus relevées et un goût plus sévère ? Telle qui est tombée à plat à la Comédie, eût fourni une carrière suffisante au Gymnase. Inversement, tel succès d’un théâtre secondaire eût pu être une chute retentissante à la Comédie. Pour ne prendre qu’un exemple, j’ai souvent pensé que ce qui a manqué à l’Amour brode de M. de Curel pour être proclamé chef-d’œuvre, c’est d’avoir été joué au théâtre de M. Antoine.