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importations exotiques, lui qui admire quand il ne comprend pas. C’est lui encore qui fait la fortune des tripots et des petites scènes où on lui sert des bluettes en proportion avec la dose d’effort intellectuel dont il est capable. Il bâille au classique : c’est sa façon d’encourager l’art national.

Encore doit-on beaucoup pardonner aux écrivains et aux acteurs. S’ils ne font pas mieux, ce n’est pas toujours l’envie qui leur en manque ; il faut les plaindre plutôt que les gourmander de leur infirmité ; la foule suit ses instincts, les mondains suivent la mode. Celle qui mérite tous les reproches et qu’il serait temps d’aller troubler dans son inconscience et dans sa sérénité, c’est la critique. Elle a pour unique raison d’être, de diriger l’opinion. Elle dispose pour cet effet de moyens d’une incomparable puissance. Elle occupe dans les journaux une place énorme et démesurée, la production dramatique n’étant malgré tout qu’une portion assez restreinte de l’activité générale d’une grande nation. Comment donc comprend-elle son rôle ? Qu’a-t-elle fait pour maintenir ou pour ramener la Comédie-Française dans la bonne voie ? Et puisque, composée d’hommes qui sont par définition et par métier des connaisseurs, elle est la gardienne de nos traditions artistiques, qu’a-t-elle fait pour les défendre ? Par son universelle complaisance, elle a perdu toute autorité ; et peut-être d’ailleurs ce parti pris de complaisance valait-il mieux que des sévérités insuffisamment averties. Elle a partagé les engouemens les plus irréfléchis et elle en a créé quelques-uns. Elle a soutenu de tout son effort cette entreprise d’affolement qui fut le Théâtre-Libre. En ce temps-là, elle acclamait un génie par soirée et humiliait les œuvres sérieuses devant des plaisanteries d’écoliers maussades. Cependant elle n’avait pas assez de brocards pour en accabler l’enseignement du Conservatoire, où de bons jeunes gens étudient encore leur métier, quand il est si facile de jouer la comédie sans avoir jamais appris. Si quelques sociétaires s’obstinaient à ne pas jouer de dos et à articuler les syllabes, elle les raillait spirituellement de pontifier. A l’égard des plus piteux vaudevilles, elle ne se croyait pas quitte à moins de comptes rendus copieux ; mais, pour la reprise d’une tragédie, elle s’en tirait avec quelques lignes indifférentes piquées de vagues épithètes. A quoi bon revenir sur des œuvres qui étaient déjà bicentenaires devant que nous ne fussions nés ? Le moyen de dire sur Polyeucte ou sur Andromaque des choses neuves et qui fassent briller notre esprit ? Et qui cela intéresse-t-il ? C’est pourquoi on était mal préparé à voir ce beau zèle qui soudain vient d’enflammer quelques-uns de nos confrères. Ils