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qui, établies dans un certain esprit, le laissent peu à peu se perdre, c’est celui de toutes les compagnies qui, ayant une tradition, s’en écartent. On les y excite de toutes parts ; après quoi, et une fois tombées dans le piège, on leur fait payer cher l’imprudence qu’elles ont eue de s’y laisser attirer. Le cas de M. Claretie est celui de quiconque s’efforce de plaire à tout le monde : c’est le bon moyen pour grouper tout le monde contre soi. Les auteurs lui en veulent des demi-succès qu’ils ont obtenus chez lui ; les acteurs sont démangés de l’envie d’aller gagner de l’argent hors de chez lui ; les journaux, dont il croyait avoir les sympathies, le vilipendent. C’est par-là que cette insurrection entre cour et jardin peut être instructive. La Comédie-Française, toutes les fois qu’elle a voulu se mettre à la remorque du Vaudeville ou du Palais-Royal, du Théâtre-Libre ou du Chat-Noir, y a perdu un peu de sa dignité et n’y a gagné aucun profit d’aucune sorte. C’est donc qu’elle doit non pas copier les autres théâtres, mais s’en distinguer. Qu’elle leur laisse tous les procédés plus ou moins exotiques auxquels ils sont obligés de recourir pour attirer la clientèle : les excentricités et les exhibitions. En art comme ailleurs, nous sommes en un temps d’universel désarroi. Assourdis, éblouis, ahuris, nous ne savons plus faire la différence entre le sublime et le ridicule, ou tout simplement entre ce qui est de bon ou de mauvais goût. Nous manquons d’un élément d’appréciation, d’une règle, d’un principe, d’une doctrine. C’est cette doctrine, puisée à la source même des chefs-d’œuvre qui lui sont confiés, qui doit être celle d’un administrateur de la Comédie-Française, et qui serait sa force. C’est elle qui lui permettrait, l’occasion venue, de se montrer hardie et de faire accueil aux nouveautés. C’est elle qui lui donnerait une égale autorité sur les écrivains qui ont besoin d’être conseillés et sur le public dont l’éducation est chaque jour à recommencer. C’est elle enfin qui, en assurant son indépendance, le mettrait pareillement à l’abri des attaques de la presse et de ses éloges.


RENE DOUMIC.