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visage même de la Russie. par-là, cette musique est plus que nationale : elle est en quelque sorte natale, comme la terre ou le ciel de la patrie. « Père, disait à Grétry sa fille mourante, pendant qu’il lui jouait son Guillaume Tell, père, cela sent le serpolet. » Dès les premières notes de Sniegourotchka, cela sent le bouleau, le sapin, les arbres du Nord. Il est minuit, le premier minuit du printemps. La rivière est encore de glace et la neige couvre la montagne. Mais voici que des oiseaux arrivent en foule, à tire-d’aile, et, sous l’aspect d’une jeune femme portée par les cygnes, les grues et les canards, le Printemps lui-même paraît. Sillonnée de traits rapides, la musique est pleine de vols, de cris et de chants, toute résonnante de coups de becs donnés contre le tronc des arbres. Elle frissonne aussi de vagues et tièdes frissons. Le printemps qu’elle annonce, et que véritablement elle semble apporter, n’est pas notre gai printemps de France, celui des chansons de Gounod ou de Massenet ; c’est encore moins l’ardente primavera d’Italie. C’est un printemps du Nord, humide et doux, le même que chantait jadis, au début de la Vie pour le Tsar, une jeune voix de paysan. Solvitur acris hiems. La détente et l’attendrissement des choses, le dégel, voilà, sous le ciel russe, le grand événement, le grand bienfait d’avril, et la musique de M. Rimsky-Korsakow, comme celle de Glinka, n’est aussi profondément nationale, que parce qu’elle exprime, avec une vérité pénétrante, un caractère, national aussi, de la nature et de la saison.

Une autre scène, encore plus significative à cet égard, est celle de la jeune fille avec sa mère, la fée Printemps. Désespérant d’aimer, Sniegourotchka s’est souvenue des promesses maternelles. Au petit jour, elle est descendue sur les bords du lac endormi dans la vallée. Les fleurs nouvellement écloses couvrent la berge et la surface même des eaux. « Ma mère, s’écrie la jeune fille, ma mère, sors des flots tranquilles et viens au secours de ton enfant. Autour de moi tout aime, et, moi seule, je voudrais, et ne sais point aimer. J’ai peur que ma jeunesse ne se passe sans joie. O maman ! je t’en supplie, accorde-moi l’amour. — C’est bien, répond la fée. Toutes les grâces, toutes les faveurs amoureuses se cachent dans ma couronne fleurie. Approche et détache-la de mon front. » Alors la jeune fille et sa mère s’assoient auprès l’une de l’autre. Alors commence une exquise conjuration des fleurs animées et chantantes, chacune d’elles cédant à l’enfant élue quelqu’une de ses beautés et de ses vertus d’amour. « Le muguet te fera plus blanche, et la rose plus vermeille. Le bleuet répandra sur tes yeux plus d’azur ; le pavot endormira ta colère, et ta jeune tête