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langage populaire dans la langue littéraire, en les fondant avec art, en conciliant des formes que nos maîtres de rhétorique les plus distingués déclaraient incompatibles. » J’imagine, — à la condition de transposer de l’ordre littéraire dans l’ordre musical les termes de cet éloge, — qu’un Russe, parlant de M. Rimsky-Korsakow, ne le louerait pas autrement. Je ne sais pas une œuvre où mieux que dans Sniegourotchka le fond populaire et naïf se concilie avec la forme artistique et raffinée. Tout est peuple en cet opéra de village. Le tsar même, qui règne sur tous ces paysans, leur ressemble. Il est au-dessus d’eux, mais il est des leurs. Il n’a rien de commun avec les rois de l’ancienne tragédie lyrique ou seulement de l’opéra contemporain. Il est le maître, mais il est le père, et, comme ils disent de lui : « le petit père. » Si vous saviez de quel front et de quel ton assuré, bien que modeste, une jeune fille l’aborde ! Le duo du tsar et de Coupawa demandant justice est un chef-d’œuvre de simplicité familière. Elle parle sans honte, et lui sans fierté ; nulle distance ne sépare la voix qui interroge de celle qui répond, et la mélodie qui pleure de la mélodie qui console. Quand Sniegourotchka, suivie de ses parens adoptifs, pénètre dans le palais, le couple rustique s’émerveille, mais ne se trouble pas. Elle, gentiment, s’incline ; en deux mots et en trois notes, qui sont d’un naturel exquis, elle dit seulement : « Bonjour, Tsar. » Et le vieux tsar à son tour accueille la jeune fille avec une indulgence peut-être plus exquise encore. Nos princes et nos princesses d’opéra s’expriment, je le répète, avec plus d’apprêt et d’apparat. Comparez cette cantilène du chef des Bérendès au récitatif de Didon dans les Troyens : La porte du palais n’est jamais défendue à de tels supplians ! Vous sentirez aussitôt, je ne dis pas l’inégalité, mais la différence entre le génie classique, un peu officiel, et le génie populaire, et vous déciderez lequel approche le plus de l’idéal, tel que Gounod le définissait un jour : à la fois supérieur et prochain.

De ce que l’œuvre de M. Rimsky-Korsakow est populaire, il résulte naturellement qu’elle est mélodique, la musique populaire n’étant que mélodie. Le héros de Sniegourolchka, Lel, n’est qu’un berger, et son rôle une suite, un trésor de chansons. « Ah ! maman, dit la jeune fille, j’ai entendu le chant de l’alouette montant au-dessus des blés, et le cri du cygne sur la surface des eaux tranquilles, et les roulades du rossignol, ton chanteur favori. Mais les chansons de Lel me sont plus chères et le cœur se fond à les entendre. » Beaucoup d’entre nous aujourd’hui ressemblent à l’enfant de neige, et leur cœur, que depuis si longtemps une autre musique a durci, leur cœur se fondrait, rien qu’à