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quelle pensée de derrière la tête obéissait-elle en la déchaînant ? Certes, on ne fera pas croire au monde qu’il s’agissait seulement d’assurer des droits politiques aux uitlanders, et que la rupture a eu lieu parce qu’on ne s’est pas entendu sur la question de savoir si ces droits seraient acquis au bout de cinq ans ou de sept. La vérité, dont personne ne doute, est qu’il y avait au fond de l’affaire un intérêt politique et un intérêt financier, l’un et l’autre exclusivement anglais. Pour les réaliser, il fallait supprimer toute résistance de la part du Transvaal. Qu’à cela ne tienne ! L’Angleterre se sentait la plus forte. Elle croyait même l’être plus qu’elle ne l’était réellement ; elle comptait sur des succès immédiats et foudroyans, erreur bien naturelle chez des gens qui, il y a près de quatre ans, avaient espéré déjà que le docteur Jameson suffirait à détruire la puissance militaire des Boers. Il fallait plus, sans doute ; mais fallait-il beaucoup plus ? Sur ce point, les calculs de M. Chamberlain se sont de nouveau trouvés inexacts, et ses précautions ont été si mal prises que le prestige britannique, quoi qu’il advienne désormais, restera amoindri à la suite des mésaventures auxquelles il s’est trouvé exposé.

Mais revenons aux causes principales de la guerre, cause politique, cause financière. La première est d’une simplicité parfaite, et il faudrait n’avoir lu aucun journal anglais depuis quelques années pour ne l’avoir pas vue naître et grandir en quelque sorte, s’élaborer et prendre corps chaque jour avec plus d’évidence. Lorsque, pour la première fois, l’imagination effervescente, mais d’ailleurs pratique de M. Cecil Rhodes a lancé dans le monde l’idée de relier par un chemin de fer le Nord et le Sud de l’Afrique, et d’établir sur tout ce long parcours une continuité de territoires où s’exercerait, tantôt la prépondérance de l’Angleterre et tantôt sa souveraineté directe, un aussi prodigieux projet a paru tenir du rêve plus que de la réalité. Nous ne savons encore s’il sera complètement exécuté, car il rencontrera sur certains points des difficultés naturelles d’un ordre très grave ; mais du moins les difficultés politiques, qui se présentaient d’abord comme insurmontables, ont-elles été l’objet d’un travail assidu devant lequel elles ont peu à peu presque complètement disparu.

Il fallait d’abord couper en deux les possessions portugaises que, le gouvernement de Lisbonne s’efforçait, au contraire, de réunir de l’est à l’ouest de l’Afrique : cela a été fait. Il fallait donner des satisfactions à l’Allemagne, de manière à désintéresser et à immobiliser provisoirement sa politique : cela vient de se faire. On a appris, ces derniers jours, qu’une négociation souvent démentie existait en réalité depuis