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Chartered opérait sur des territoires dont on avait exagéré la richesse : la situation changerait du tout au tout si les mines du Transvaal, mines d’or et de diamant, entraient dans le domaine de son exploitation. Il n’y a aucune crainte d’injustice à dire que, là encore, a été une des causes de la guerre, et nulle autre n’a plus contribué à rendre cette guerre impopulaire en Europe. Quand on a vu que cet or si âprement convoité devait être le prix du sang, le sentiment qui s’est produit a été voisin de l’horreur ; et, en effet, en d’autres temps, en d’autres lieux, d’autres guerres iniques ont éclaté ; l’histoire en est même toute pleine ; mais jamais peut-être et nulle part la corrélation n’avait été aussi étroite, aussi visible, aussi tangible, entre le moyen et le but, entre la force et l’argent. C’est ce qu’on appelle, en Angleterre, l’intérêt ou le triomphe de la civilisation ; mais cela a conservé jusqu’ici un autre nom dans le reste du monde, et, quel que soit le prestige toujours grandissant dont la richesse matérielle est entourée dans les sociétés contemporaines, il en est encore quelques-unes qui n’en sont pas encore fascinées au point de ne plus distinguer le juste de l’injuste, le bien du mal, le droit de la violence, distinction qui a fait jusqu’ici l’honneur de la nature humaine. Elle disparaît ou s’obscurcit de plus en plus en Angleterre, grand pays, certes, admirable par bien des côtés, et qu’on calomnierait indignement si on le disait étranger aux sentimens nobles et généreux, mais où la société tout entière repose sur l’amour et sur la poursuite du gain matériel. L’or y colore tout de ses teintes prestigieuses, il y déguise et excuse tout. On a prêté autrefois au cardinal de Richelieu, à propos de certains actes cruels de sa vie, ce mot, qu’il a prononcé peut-être : « Je couvrirai tout cela avec ma robe rouge. » La société britannique croit pouvoir, elle, tout couvrir avec un manteau doré ; car l’or y est respecté pour lui-même, il y est pur, il y est saint.

Est-ce que nous dépassons la mesure ? Est-ce que nous sortons de la vérité ? Eh bien ! laissons parler un écrivain, mort aujourd’hui, mais dont les lecteurs de cette Revue ont apprécié longtemps l’esprit si lin et si pénétrant, M. Emile Montégut. Il est, parmi les publicistes de notre époque, un de ceux qui ont le mieux connu l’Angleterre, et qui, malgré les réserves qu’il se croyait tenu de faire, ont éprouvé pour elle un attrait dont il ne se défendait pas. Il signalait pourtant, — et ce passage n’a pas été écrit pour des besoins de polémique, — il signalait en ces termes, dans une étude sur le caractère anglais, ce qu’il appelait « le péché moral de l’Angleterre : l’importance exagérée donnée à la richesse. » — « La richesse est, disait-il, à prendre les choses