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mérites de celui dont la mémoire lui était si chère, et pour nous rappeler en quelques mots les services rendus à la France par le dernier Bourbon qui ait régné sur elle.

Au premier rang, il plaça l’établissement de la neutralité de la Belgique : « On ne saura jamais, nous dit-il, par quel mélange d’habileté et de ténacité la neutralité de la Belgique a été imposée à l’Europe coalisée et malveillante, » et, pour nous faire apprécier l’importance du résultat alors obtenu, il nous pria de songer à ce qu’auraient ajouté aux angoisses de la terrible année 1870 soixante-dix lieues de plus de frontières à défendre, soit détenues par des mains hostiles, soit ouvertes à l’invasion de l’agresseur et hérissées, comme elles l’étaient encore en 1830, de forteresses érigées contre nous.

Cette considération me parut d’autant plus frappante que la même pensée m’était venue souvent, quand j’avais eu à étudier de près dans les Mémoires de Talleyrand, dont la publication m’était confiée, l’établissement de cette neutralité belge, et je m’étais étonné que personne n’eût encore suffisamment reconnu le mérite, je dirai hardiment la grandeur d’une œuvre diplomatique, accomplie au lendemain d’une crise révolutionnaire, en face de quatre puissances dont trois nous étaient décidément hostiles, une seule nous prêtait un concours hautain, chagrin et précaire, au milieu des orages d’une liberté de presse et de tribune déchaînée dans trois pays différens. Je m’étais alors souvent demandé si, trouvant dans les papiers de Talleyrand, dont je reste dépositaire, plus d’une information qu’il n’a pas consignée dans ses Mémoires, ayant eu moi-même dans ma jeunesse des relations personnelles et des entretiens instructifs avec plusieurs des personnages principaux mêlés à cette importante transaction, ce n’était pas presque un devoir pour moi de ne pas laisser s’établir sur le grand bien fait alors au pays, par une sorte de prescription, l’indifférence ou plutôt l’injustice de l’histoire. En tout cas, c’était une tâche bien faite pour occuper dignement les derniers loisirs d’une longue existence.

J’intitulerai donc le récit que je vais faire : le Dernier Bienfait de la Monarchie. A l’exemple de M. le Duc d’Aumale, je suis très loin de vouloir rendre ici au roi Louis-Philippe un hommage dont il ne soit juste de faire une part à ses royaux prédécesseurs. Ce jour-là comme tout autre, dans le soin de la grandeur et de la sécurité de la France, il n’a fait que suivre leurs traditions, et