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qu’une seule revendication à faire. Ne s’étant jamais sentie sérieusement menacée dans sa domination lointaine que sa marine avait défendue par plus d’une victoire, médiocrement atteinte dans sa prospérité commerciale par la sotte campagne du blocus continental, elle n’avait eu au fond qu’un seul grief contre le régime impérial, mais celui-là était irrémissible : elle ne pouvait lui pardonner d’avoir confisqué et asservi toutes les côtes qui joignent l’Atlantique à la mer du Nord, de manière à ne laisser de Brest à Hambourg aucun point, aucun abri que pût aborder librement le pavillon britannique. C’était le dommage que lui avait déjà fait en partie, en 1793, la conquête de la Belgique par les armes de notre République, et elle l’avait dès lors vivement ressenti. L’annexion violente de la Hollande, sa cliente, à l’Empire français, y avait mis le comble et exaspérait son irritation. Puis elle ne pouvait suivre sans une inquiétude constante et presque fébrile le développement donné au port militaire d’Anvers, d’où elle se croyait toujours à la veille de voir sortir la flotte qui viendrait jusque dans la Tamise venger les injures d’Aboukir et de Trafalgar. Ne rapportait-on pas un mot de Napoléon, disant qu’il tenait à Anvers un pistolet chargé sur la gorge de l’Angleterre ? C’était le défi audacieux dont il fallait obtenir réparation. La coalition de l’Europe n’avait pas aux yeux de l’Angleterre d’autre but à poursuivre, ou du moins, ce n’était qu’à ce titre qu’on pouvait, après l’avoir laissée longtemps seule et sans défense, lui demander d’y prendre part.

Aussi, dès l’automne de 1813, quand il s’agit de faire le plan de la dernière campagne à soutenir contre Napoléon déjà vaincu, mais encore redoutable, et avant même qu’on fût certain de pouvoir pénétrer sur le territoire français, le ministre des Affaires étrangères anglais, lord Castlereagh, écrivait à lord Aberdeen, son représentant dans ces conférences préliminaires : « Je vous recommande tout particulièrement, de ne pas perdre de vue le port d’Anvers. La destruction de cet arsenal est nécessaire à notre sûreté. Le laisser dans les mains de la France, ce serait imposer à l’Angleterre la charge d’un armement de guerre en permanence. Après ce que nous avons fait pour les puissances du continent, elles nous doivent et elles se doivent à elles-mêmes de détruire cette source d’un danger constant qui serait nuisible également à tous[1]. »

  1. Castlereagh Papers, t. I, p. 75.