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apprendre à l’Empereur avec surprise que son aumônier refusait la croix de la Légion d’honneur dont il voulait le décorer, par le motif que le serment qui devait être prêté par les nouveaux chevaliers contenait l’engagement de défendre l’intégrité de l’Empire, et par-là même les annexions qu’il regardait comme illicites. Une altercation très vive s’ensuivit, dont les chroniques du temps font mémoire, et dont on racontait plus tard les étranges détails dans la famille du prélat : des propos inouïs échappèrent à l’Empereur irrité ! L’évêque, ayant dit que sa conscience lui défendait de prêter un serment qu’il se ferait scrupule de tenir, reçut cette réponse brutale : « Votre conscience n’est qu’une sotte, » et son auguste interlocuteur lui tourna le dos. L’opposition ne pouvait en rester là : elle devint une hostilité déclarée au Concile national de 1811, où toute l’Eglise de France fut convoquée pour chercher un moyen de pourvoir à la vacance de sièges épiscopaux, le Pape refusant de donner, pendant sa captivité, l’institution canonique à aucun des sujets qui lui étaient présentés. L’évêque de Gand avec deux de ses collègues, dont l’un, celui de Tournay, appartenait comme lui à l’épiscopat belge, organisèrent une résistance qui, si elle ne réussit pas à prévenir plus d’une défaillance particulière, rendit pourtant la dissolution de l’Assemblée nécessaire. Les trois meneurs opposans furent alors appréhendés au corps, enfermés d’abord à Vincennes, puis relégués dans de petites villes de France, avec l’injonction expresse de n’entretenir aucune relation avec leur diocèse. M. de Broglie ne s’étant pas conformé à cette prescription, on mit de nouveau la main sur lui et on l’envoya sous bonne garde au fort de l’île Sainte-Marguerite, où il courait risque de finir ses jours, si les événemens de 1814 n’avaient amené pour lui, comme pour les nombreuses victimes de la police impériale, la fin de sa détention arbitraire.

Mais, entre temps, le diocèse de Gand était resté à l’abandon ; le clergé n’ayant pas voulu reconnaître l’administrateur nommé par l’Empereur, les vicaires généraux furent jetés en prison, et les élèves du séminaire envoyés faire leur service militaire dans un régiment.

Est-il vrai, comme l’évêque se plaisait à le dire quelquefois en souriant à sa famille, que, dans les momens où il sentait sa résolution défaillir, le souci de la dignité épiscopale fût quelquefois soutenu chez lui par le sentiment qu’il appartenait à une race militaire qui n’avait pas l’habitude de reculer devant la menace ?