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les Italiens et les Espagnols ! La sobriété est une des forces vives qui assurent la santé et l’énergie d’un peuple. M. Ferrero a beau gémir sur les mœurs des Latins, l’érotisme même est bien loin de produire les ravages de l’alcoolisme ; sans compter qu’il ne faudrait pas trop approfondir les vertus de chasteté qui semblent appartenir à certaines nations soucieuses du decorum extérieur. Ce souci, fort honorable et fort nécessaire, ne va pas toujours sans quelque hypocrisie, et ce n’est pas chez les nations néo-latines qu’on trouve le plus de pharisiens remerciant le ciel de n’avoir point les vices de leurs voisins.

Après le climat et le tempérament, on invoque l’usure des siècles. Mais, quand on dit que tels peuples ou telles races sont parvenus à leur vieillesse, par exemple les Néo-Latins, c’est là une métaphore qu’il ne faut pas prendre pour une réalité. Un peuple se renouvelle incessamment, à vrai dire ; il est donc toujours jeune. La grande question est de savoir de quels élémens il est composé à tel ou tel moment de sa vie. Il se produit sans cesse, en effet, une sélection de ces élémens, tantôt avec excédent des meilleurs, tantôt au profit des pires ; dans le premier cas, il y a progrès, dans le second, il y a recul. C’est un jeu compliqué de forces sociales où, fort heureusement pour les peuples « intellectuels, » l’intelligence joue un rôle de plus en plus considérable. La France est infiniment plus intellectuelle que l’Espagne, par exemple, et ce n’est pas un malheur. L’Europe elle-même est-elle « vieille ? » N’est-elle pas plutôt, sous maint rapport, trop jeune et trop en retard ? Nous ne résoudrons jamais un problème avec des figures de rhétorique, fussent-elles habillées à la mode scientifique du jour.

La population joue un rôle capital dans la puissance industrielle d’un peuple, comme dans sa puissance militaire, quand d’ailleurs la race n’est pas par elle-même inférieure ou attardée. Or, les Anglo-Saxons, les Germains, les Slaves ont aujourd’hui pour eux le nombre ; c’est là leur vraie « supériorité. » Les Néo-Latins, relativement à eux, se trouvent notablement réduits. Mais la « latinité » n’y est pour rien ; car, si la France reste stationnaire, l’Italie et l’Espagne accroissent très rapidement leur population ; l’Italie a même un taux d’accroissement supérieur à celui de l’Allemagne. Il y a donc ici ascension et non décadence.

D’autre part, le mouvement de la population tend partout à décroître à mesure que les nations vivent d’une vie plus