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pour lesquelles les Anglo-Saxons la voient de mauvais œil ?

Parmi les systèmes relatifs à l’infériorité des nations latines, il faut considérer encore celui qui attribue toute décadence à l’« immobilisme. » La biologie étant aujourd’hui en honneur, les sociologues lui empruntent des comparaisons qu’ils donnent volontiers comme des raisons ; or la biologie érige en loi l’adaptation des espèces au milieu. Le milieu physique changeant, une espèce doit elle-même se transformer ou disparaître. De même, le milieu humain se modifiant à travers les siècles, grâce aux progrès de la civilisation, de la science, de l’industrie et des arts, chaque nation, chaque race doit s’adapter au milieu nouveau, ou disparaître. Le manque de flexibilité et d’adaptation progressive est ce que M. Sergi appelle l’immobilisme. Selon lui, il y a une paléontologie sociale, où nous voyons subsister des monstres d’un autre âge, des races attardées qui n’ont pas su se plier aux nouvelles conditions d’existence. A l’en croire, c’est par l’immobilisme que tombent tous les empires, depuis l’empire de Chine jusqu’à l’empire romain, et, si les races latines sont aujourd’hui en décadence, c’est qu’elles s’endorment dans l’immobilité. Mais on peut répondre que, si l’immobilisme est un péril, le « mobilisme » exagéré en est un autre. En outre, si certaines nations dites néo-latines ne brillent pas par une flexibilité extrême, comme l’Espagne, voit-on que l’Italie, elle, soit tellement immuable, incapable d’une souple accommodation aux circonstances ? Partout où l’on instruit les Italiens, ils profitent très habilement de leur instruction. Quant aux Français, c’est bien plutôt l’excès de mobilité gauloise que l’immobilisme « latin » qui les a fait souffrir. Nous aurions pu, sans inconvénient, faire l’épargne de je ne sais combien de révolutions, de guerres, de changemens de politique, de renversemens de ministères, etc., etc. Comment prétendre que la France soit, comme l’Espagne, un pays attardé, perdu dans son passé, ignorant du présent, insoucieux de l’avenir ? Toutes ces généralisations sont de pures hypothèses, toutes ces formules étroites laissent échapper la réalité. Quand on a dit que le progrès est fait tout ensemble de permanence et de changement, de « statique » et de « dynamique, » on n’a encore énoncé, sous des formes scientifiques, que le plus banal des lieux communs.

En somme, à voir tout ce que de prétendus savans attribuent qui au climat, qui à la race, qui au tempérament, qui à la vieillesse ou à la jeunesse des peuples, on se prend à douter des