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Allemagne, où M. Ferrero lui-même nous montre le collectivisme s’élevant à la hauteur d’une église en même temps que d’une armée puissamment disciplinée et tous les jours plus nombreuse.

La statistique allemande, comme la française, comme aussi l’italienne, constate une pléthore de médecins, d’avocats, d’ingénieurs, d’architectes, dont le nombre s’augmente d’année en année et qui est hors de toute proportion avec le nombre de places disponibles. Le développement de l’enseignement supérieur entraîne une somme énorme d’activités inoccupées, et ce prolétariat intellectuel, ouvert à toutes les utopies sociales, finit par constituer lui-même un véritable danger social.

En Italie comme en France, le régime parlementaire, emprunté aux Anglo-Saxons, par les abus qu’il entraîne, a produit la montée et le règne des politiciens, leur action dissolvante sur les ministères esclaves de leurs votes et livrés à l’instabilité, leur ingérence continuelle dans l’administration et jusque dans la justice, dont ils faussent tous les ressorts, leur immixtion aux affaires d’argent les plus louches, leur influence démoralisatrice sur une presse sans frein et, trop souvent, sans pudeur, assurée de l’impunité auprès des jurys populaires ; enfin leur habitude de tourner au profit de leurs ambitions personnelles les tendances sociales du peuple, de fomenter les grèves et les discordes, de faire dévier les plus belles associations pour le travail et pour l’épargne en instrumens de révolte contre la société entière. Il faut toute la sagesse italienne pour avoir résisté à une telle force de dissolution et d’abaissement, et cela au milieu des plus grandes difficultés économiques. Dira-t-on que le parlementarisme perd ses vertus quand on le transplante en sol latin ? Nous ne voyons pas qu’il soit plus impeccable en Autriche ou même en Allemagne. Quant à la terre bénie des politiciens, n’est-ce pas précisément l’Amérique anglo-saxonne ? La « corruption » n’existe-t-elle qu’en France ou en Italie ? N’est-elle pas plus énorme encore aux Etats-Unis, où se font de plus en plus éhontés le trafic des votes et celui de la justice ? Et voit-on que, sous le régime autocratique, les Slaves soient plus exempts de corruption que les Latins sous leur régime démocratique ?