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Les mariages mixtes sont prohibés par la loi. Une barrière morale sépare toujours les deux races. Dans beaucoup de stations de chemin de fer, le voyageur ne lit-il pas : salle d’attente pour les blancs, salle d’attente pour les gens de couleur ? Au fond, les blancs conservent le sentiment du danger que court la race blanche en s’absorbant dans une race inférieure ; mais ils poussent ce sentiment jusqu’à l’injustice et à la cruauté.

Les Etats-Unis ont refoulé les noirs avec une dureté qui n’avait rien à envier aux Espagnols, et ils continuent de se montrer hostiles. A chaque instant, les noirs subissent la loi de Lynch. On en a vu souvent, qui avaient poursuivi des femmes blanches, saisis par la foule, enduits de goudron et allumés comme des candélabres. Les journaux font le silence sur ces scènes, la statistique n’enregistre qu’une partie de ces exécutions ; elle n’en a pas moins noté 1 100 pendant les sept dernières années. Cette façon de maintenir en respect la criminalité des noirs par un mode de justice qui est lui-même criminel montre que les Anglo-Saxons et les Espagnols sont souvent équivalens pour la barbarie.

En opposant l’Amérique colonisée par les Espagnols à l’Amérique colonisée par les Anglo-Saxons, on met sur le compte des Latins ce qui est le fait des nègres et des rouges, témoin M. Le Bon qui se donne en spectacle « la décadence des races latines » dans l’Amérique du Sud, alors que les races de beaucoup dominantes et absorbantes sont l’indienne et la noire. En outre, dans les républiques hispano-américaines, les conditions climatologiques et économiques sont dix fois pires que dans le Nord. M. Child, dans un livre célèbre, reproche à ces républiques d’être sous la férule de présidons qui exercent une autocratie non moins absolue que le tsar de toutes les Russies, plus absolue même, en ce qu’ils sont à l’abri de toutes les importunités et de l’influence de la censure européenne. « Le personnel administratif est uniquement composé de leurs créatures ; les citoyens votent comme bon leur semble, mais il n’est tenu aucun compte de leurs suffrages. » Chaque république, le plus souvent, « n’est une république que de nom ; en réalité, c’est une oligarchie de gens qui font de la politique un commerce. » A propos de l’une des moins dégradées parmi ces républiques, M. Child dit : « Au point de vue commercial, on reste confondu par l’immoralité qui s’affiche partout. » Mais faut-il accuser ici les races néo-latines ? S’il est vrai que la mère patrie espagnole est elle-même difficilement gouvernable,