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raison de voir dans ce cimetière une « sévère leçon d’histoire[1] ? »

Avant l’Angleterre, l’Espagne s’était vantée, elle aussi, de ne pas voir le soleil se coucher sur ses royaumes ; la France elle-même, qu’on prétend inhabile à la colonisation, avait des possessions bien plus vastes que n’en avait la Grande-Bretagne ; et c’est avec les dépouilles de la France, de l’Espagne, de la Hollande, que les Anglais ont fini par former leur immense empire colonial. La grandeur exagérée de leurs possessions actuelles peut rendre un jour difficile de maintenir une si disparate accumulation de territoires à l’abri des désordres intérieurs et des convoitises du dehors. La sécurité des mers, nécessaire à l’Angleterre, peut être compromise même par des marines moins fortes que la sienne. En un mot, l’avenir est incertain pour les Anglo-Saxons comme pour les Néo-Latins ; aucun ne peut se flatter d’être dépositaire ni de la vertu ni de la puissance perpétuelle. « Il y a place pour tous, disait Spinoza, dans la maison du Seigneur ; » il y a place aussi pour tous les peuples dans les destinées de la grande famille humaine, et aucun n’est, par nature ou par race, voué à la décadence. De plus, selon nous, c’est une loi de l’histoire que les facteurs sociaux et, conséquemment, intellectuels ou moraux l’emportent de plus en plus, avec le progrès des civilisations modernes, sur les facteurs ethniques, géographiques et de climat. L’avenir n’est pas aux Anglo-Saxons ou aux Latins, il est aux plus savans, aux plus industrieux, et aux plus moraux.


ALFRED FOUILLEE.

  1. G. de Contenson, Revue politique et parlementaire, 1898, p. 476.