Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/596

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

apprenait à parler les dialectes populaires, à lire, quelquefois à écrire, avec quelques notions de calcul ; çà et là, des écoles sanscrites, misérablement installées, où des étudians faméliques travaillaient, jour et nuit, à acquérir l’intelligence de la langue sacrée. Ce qu’on nous raconte de leur zèle, de leur patience et du dénûment où ils vivaient rappelle les traditions à demi légendaires des universités médiévales. Étrange amour des vieux textes, dévotion désintéressée, mais aveugle, à une connaissance stérile, passion de lire, sans l’idée la plus lointaine de profit ou de progrès ; une génération utilitaire comme la nôtre, qui mêle une arrière-pensée pratique à toutes les questions de pédagogie et de littérature, comprend à peine ces choses, qu’acceptaient, pour leur part, sans difficulté, les Jones et les Wilson.

Aussi fondait-on, dès 1791, un collège sanscrit à Bénarès. En 1813, au renouvellement de la charte accordée en 1793, le gouvernement imposait à la compagnie l’obligation de dépenser, annuellement, un lac de roupies pour l’encouragement des études orientales. 25 000 francs ! Ce fut pendant vingt ans le budget de l’Instruction publique dans l’Inde. Avec cette faible somme, grossie de libéralités particulières, on réalisa quelques progrès dans la même direction. En 1821, on ouvrait un collège sanscrit à Pounah ; en 1824, à Calcutta ; en 1825, à Agra et à Delhi. Le gouverneur de Bombay, Elphinstone, était d’avis de prendre les dialectes populaires pour base de l’éducation nationale. A Madras, on fonda une école mixte pour concilier ces deux systèmes. Quant aux indigènes, ils réclamaient avec énergie, avec passion, l’enseignement de l’anglais. « Mange de ce fruit, dit le tentateur aux premiers humains, et tu seras semblable à Dieu ! » Les Indiens pensaient qu’ils seraient les égaux des Anglais, le jour où ils sauraient parler et écrire leur langue. De là un mouvement dont l’extraordinaire véhémence secoua ces races assoupies. Un voyageur raconte qu’en débarquant à Calcutta, il fut assailli par des mendians d’un nouveau genre. C’étaient des petits garçons qui imploraient, avec des larmes de supplication, des livres anglais. Le gouvernement fermait l’oreille à ces prières ; c’est en dehors de lui que fut ouverte, en 1828, la première école anglaise et que se créèrent successivement, à Calcutta l’Hindoo College, à Bombay l’Elphinstone College. Le succès de ces tentatives n’ébranlait pas encore les « Orientalistes, » c’est le nom qu’on donnait aux partisans du sanscrit dans le Conseil scolaire de la Compagnie, par opposition à leurs