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que faire. Rien de tout cela ne s’est incorporé à lui, n’a pénétré au fond de son être. Ce bloc de faits, de sentimens et d’idées qui constituent la civilisation occidentale, lui forme une âme seconde tout artificielle, tout extérieure, qui se superpose à la première, la cache et l’enveloppe. Point de mélange possible. Les notions acquises sont profondément imprégnées de christianisme. Monothéisme et monogamie, liberté, justice, égalité entre les classes, entre les sexes, entre les individus ; amour de la femme, respect de la mère, adoration de l’enfant, chaque ligne, chaque mot des auteurs qu’il a lus recèle et suppose tout cela. Alors, il rentre dans sa maison et dans sa pensée. Ce qui l’entoure, son vrai moi, tout donne le démenti à ce qu’on lui a enseigné, à ce qu’il a essayé d’assimiler.

D’abord, ses dieux.

La religion lui oppose un obstacle insurmontable, non par l’absolutisme de ses dogmes, qu’on veuille bien le remarquer, mais par l’invincible résistance, la raideur immuable des formes sociales avec lesquelles elle s’est identifiée. Le Brahmanisme est d’une tolérance unique : il autorise toutes les croyances, ou plutôt il se les annexe ; et, chose plus singulière, il les a toutes conservées. L’Inde n’a pas, jusqu’à présent, le sens historique ; elle n’est pas consciente de son évolution religieuse. Son passé lui apparaît en une vision simultanée, qui le lui rend à jamais présent. Ce qu’elle a cru à un moment de son histoire, elle se figure le croire encore et n’ose le désavouer. Le brahmanisme est une religion où tout est entré et d’où rien n’est sorti.

A eux seuls, les quatre Védas, surtout si on y joint les Brahmanas et les Oupanichads, couvrent de longs siècles et indiquent une évolution considérable. Max Muller a trouvé un mot ingénieux pour caractériser l’état religieux des premiers aryens qui conquirent l’Inde plusieurs milliers d’années avant notre ère. Ce n’était ni le monothéisme, ni le polythéisme, mais l’hénothéisme. Ils adoraient beaucoup de dieux, mais n’adoraient jamais qu’un seul dieu à la fois. C’est celui auquel on s’adressait, qui était le maître, le tout-puissant, le dieu des autres dieux. Ceux dont la vie se passait à méditer sur ces choses et à en instruire le peuple sentaient la faiblesse de cette conception et l’expliquaient en disant que les différens dieux ne sont que des noms différens donnés à la Divinité.

La religion était d’abord toute dans les rites et dans les