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ont donné quelques-unes des plus belles pages de la prose française au XIXe siècle : Renan, les plus séduisantes, on serait tenté de dire les plus platoniciennes ; et Taine, les plus vigoureuses (nous ne disons pas les plus éloquentes, elles manquent trop souvent de « nombre ») et les plus colorées. Mais ce qu’ils ont tous les trois essayé de faire, et où leur grand honneur est de n’avoir pas entièrement échoué, ç’a été de soustraire les choses littéraires aux variations du jugement individuel, et pour cela de fonder l’esthétique sur les résultats de la philologie et de l’exégèse, de la physiologie et de l’histoire naturelle, de l’ethnographie et de la psychologie comparées. Leurs chefs-d’œuvre en ce genre sont, de Renan, l’Histoire générale des Langues sémitiques ou ses Études d’Histoire religieuse, et de Taine, l’Histoire de la Littérature anglaise ou la Philosophie de l’Art. On voit clairement dans ce dernier ouvrage comment, de la considération de l’individu, ou du representative man, la critique s’est trouvée amenée à « sérier » dans l’histoire ces individus représentatifs ; à se demander de quoi ils étaient représentatifs ; à s’aviser qu’autant que d’eux-mêmes ils l’étaient de toutes les influences qui avaient agi sur eux comme sur leurs contemporains inconnus ; à diminuer leur personnalité de la somme de ces influences, quand ils ne l’ont pas réduite à n’être elle-même que cette simple somme, le total de ces grandes « pressions environnantes » qui sont la race, le milieu, le moment ; et finalement à conclure que le génie même ou le talent, en littérature et en art, ne sont que des produits « comme le vitriol et le sucre, » c’est-à-dire des choses complexes que l’analyse peut espérer de résoudre en leurs élémens. Qu’il y ait beaucoup à dire contre cette manière de concevoir la critique, ce n’est pas aujourd’hui le point ; mais on n’en saurait méconnaître, en tout cas, ni la beauté, ni la grandeur, et certainement Taine et Renan lui doivent une partie de leurs qualités d’écrivains. Ce qui n’est pas plus douteux, c’est la fortune qu’elle a faite, et la belle Histoire de la Littérature italienne de Francesco de Sanctis ou le livre de M. George Brandes, le critique danois, sur les Grands courans de la Littérature européenne au XIXe siècle, procèdent également de leur méthode et de leurs exemples. Mais, depuis quelques années, il semble que leur autorité décline, et tandis qu’à leur ambition de fonder la critique sur des bases scientifiques ou quasi scientifiques s’opposait, — indépendamment de beaucoup et de très fortes objections, — une