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qu’au sein d’une « patrie » commune. Et de là les romans de Novalis ou d’Achim d’Arnim, Henri d’Ofterdingen et les Gardiens de la Couronne, ceux de Massimo d’Azeglio ou de Domenico Guerazzi : Ettore Fieramosca et Béatrice Cenci. C’était, en Italie, disent les historiens de la littérature italienne, « autant d’instrumens d’agitation ou de lutte contre l’étranger ; » et, en Allemagne, c’était l’évocation de ce passé féodal qui, de leurs divisions de l’heure présente reportait les Allemands au souvenir de leur antique unité. Il y avait bien aussi quelque chose de ce patriotisme local dans la complaisance de Walter Scott pour les « sujets » écossais, Waverley, Rob Boy, les Puritains d’Ecosse, la Prison d’Edimbourg, mais l’intention en était déjà plus désintéressée. Elle l’était presque également dans le Cinq-Mars d’Alfred de Vigny, dans le Charles IX de Prosper Mérimée, dans la Notre-Dame de Paris de Victor Hugo. Les uns et les autres, c’était bien pour lui-même, par goût et par amour de la « couleur locale » qu’ils faisaient ainsi revivre le passé. Pareillement Edward Bulwer-Lytton dans le Dernier des Barons. Et les uns et les autres, sans le savoir, — à l’exception de Mérimée peut-être, — ils préparaient ainsi la fortune du roman « réaliste. » Car le présent serait un jour du « passé » pour quelqu’un, et tant de détails, qu’on avait jusqu’alors exclus du roman sous prétexte de vulgarité, s’ils étaient cependant nécessaires dans un récit du temps de Charles IX ou de Warwick, comment ou pourquoi ne le seraient-ils pas, ou le seraient-ils moins, dans un roman du temps de Louis-Philippe ou de la reine Victoria ? C’est ce que personne n’a mieux vu que notre Balzac, et la transition du roman historique au roman réaliste ne s’aperçoit pas seulement, elle se laisse comme toucher au doigt dans quelques-uns de ses plus beaux romans : Les Chouans, par exemple, ou Une ténébreuse affaire.

C’est tout un livre qu’il faudrait écrire, et un gros livre, si l’on voulait retracer l’évolution du roman réaliste, — ou du roman de mœurs, pour l’appeler d’un nom plus général, — et nous voulons désigner par-là l’espèce de roman qui se propose d’être en tout temps l’histoire de la vie contemporaine. « L’histoire, a-t-on dit, est du roman qui a été, le roman est de l’histoire qui aurait pu être. » Ce n’est pas assez dire : le roman de Balzac, de Flaubert, des Goncourt, de M. Zola, de Daudet, de Maupassant en France ; le roman de Thackeray, de Dickens, de Charlotte Brontë, de