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un meilleur conseil que d’y persévérer, ni d’ailleurs un conseil qui leur soit plus agréable.

On peut également le donner aux derniers « littérateurs » dont il nous reste quelques mots à dire, et ce sont les orateurs. Au barreau, à la tribune, dans la chaire chrétienne, l’Europe moderne en a connu de très grands, et parmi ces derniers, je ne crois pas qu’aucun Anglais m’en démente, si je mets à part et au-dessus des autres le cardinal Newman. Mais je ne sais comment il se fait que, de tant d’orateurs, on n’en trouve qu’un bien petit nombre qui soutiennent l’épreuve de la lecture ; et on ne pourrait mieux comprendre qu’en essayant de relire aujourd’hui les discours les plus vantés d’un Lacordaire ou d’un Berryer ce qu’il y a de physique et, si je l’ose dire, de circonstanciel dans l’éloquence. Il y a plus de fond, et surtout d’émotion communicative, dans quelques-uns de ceux de Montalembert. Villemain a beaucoup loué, dans le temps, ceux de lord Chatham, et Macaulay ceux de Sheridan ou de Burke, mais ils appartiennent tous les trois au dernier siècle. Les discours de Gladstone et de Disraeli, — lesquels furent cependant des professionnels de lettres, — ne sont guère divertissans à lire. L’historien qui compulsera ceux du comte de Cavour ou du prince de Bismarck n’y cherchera point de beautés littéraires. Oserai-je ajouter que les « déclamations » de don Emilio Castelar, qui étincellent de ce genre de beautés, suffiraient à nous dégoûter d’une pareille recherche ? On ne voit nulle part mieux que dans la collection de ces Discours ce qu’il y a de contradictoire entre les sonorités creuses d’une certaine éloquence, très musicale d’ailleurs, et les exigences pratiques, ou réalistes, pour ainsi parler, de la politique moderne.

C’est la grande raison qui a dépossédé l’éloquence de son ancien empire, et qui l’a comme dépouillée de sa valeur littéraire. On notera du reste, à ce sujet, que l’éloquence a toujours été rare, — presque aussi rare ou plus rare que la poésie, disait déjà Cicéron dans son De Oratore, — et nous en trouvons une preuve dans ce fait que chez nous, en France, où pourtant la tendance de la littérature a été si longtemps « oratoire, » c’est à peine si, de tant d’orateurs qui ont porté la parole du haut de la chaire chrétienne, nous en avons retenu jusqu’à trois : Bossuet, Bourdaloue, Massillon. Telle est aussi bien la destinée de quelques genres dont les titres et l’utilité sont, à vrai dire, indépendans de leur valeur littéraire. Ni on ne prêche, ni on ne plaide, ni on ne