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raisonnée de la vie. Le nombre des « littérateurs » en sera peut-être diminué, mais la dignité de la « littérature » s’en accroîtra d’autant, et davantage encore l’efficacité de son action.

Parvenue à ce point de son développement, la « littérature » s’apercevra-t-elle alors que, si les « questions sociales » sont des « questions morales, » elles sont aussi des « questions religieuses ? » On peut l’espérer, puisque M. Emile Zola lui-même a dû finir par s’en apercevoir. Il n’est pas le seul ; et l’on sait quelle place occupe la question religieuse dans les romans de Tolstoï, dans sa pensée surtout ; et quelle est la signification du dernier roman de Mrs Humphry Ward, Helbeck de Bannisdale, si elle n’est pas religieuse ? Ai-je besoin encore de rappeler le '   'Middlemarch, le Daniel Deronda de George Eliot ? et, vers le même temps, l’œuvre presque entière d’un Octave Feuillet, depuis Sibylle jusqu’à la Morte !

Aussi bien, — et sans doute, je ne saurais mieux terminer cette étude, — la fin du siècle, sous ce rapport, n’aura-t-elle fait que répondre à ses commencemens. On l’a pu croire agité d’autres soins, et, en effet, il l’a été. Mais si la question religieuse n’a pas toujours été la première ou la plus évidente de ses préoccupations, elle en a été certainement la plus constante, et disons, si on le veut, par instans, la plus sourde, mais en revanche la plus angoissante. C’est en France, particulièrement, dans le pays de Voltaire et de Montaigne, qu’on le peut bien voir, ou du moins qu’on le verrait le mieux, si nous avions ici le loisir de le montrer. Le premier grand livre du siècle, c’est le Génie du Christianisme, et le Génie du Christianisme, qu’est-ce autre chose qu’une réfutation de tout ce que le siècle précédent avait entassé de sophismes pour écraser sous eux l’idée religieuse ? Lamennais vient ensuite avec son Essai sur l’Indifférence, et, presque en même temps, l’homme que j’aime à nommer le théologien laïque de la Providence, Joseph de Maistre, avec son livre du Pape et ses Soirées de Saint-Pétersbourg. On leur dispute âprement le terrain qu’ils ont regagné, mais, jusque dans le camp des philosophes, c’est à fonder une religion nouvelle, dont l’autorité se substitue à l’ancienne, que s’emploient des esprits aussi différens que ceux de Victor Cousin, d’Auguste Comte, et de Pierre Leroux. C’est du point de vue religieux qu’Alexandre Vinet écrit son Histoire de la Littérature française et Sainte-Beuve son Port-Royal ; et que resterait-il de Michelet