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accidentée. Mais il fait évidemment plus d’effet dans un château fort, ou au milieu d’une bagarre, que devant un tribunal. Pour ce qui est des autres, nous ne dirons pas qu’ils ne valent pas l’honneur d’être nommés puisqu’on a cru devoir les poursuivre, mais c’est bien le seul titre qu’ils aient à l’intérêt. M. Buffet lui-même n’a pas donné tout ce qu’on attendait de lui. Le cadre de la Haute Cour est trop grand et trop solennel pour les scènes qui s’y déroulent : encore une fois ce n’est pas là que devraient être les accusés. Les juges eux-mêmes s’y sentent de plus en plus mal à l’aise, et samedi dernier, le dernier jour d’une semaine laborieuse, on a signalé au moins une vingtaine d’entre eux qui, n’y pouvant plus tenir davantage, sont sortis au cours de l’audience. En ont-ils le droit ? Un juge peut-il quitter son siège, puis le reprendre ? La Haute Cour a décidé que oui ; mais rien n’est plus contestable, et ce laisser aller, signe d’ennui, de distraction et d’impatience, donne à la justice politique un air qui la distingue un peu trop de celle que nous sommes habitués à respecter.

Le gouvernement ne s’embarrasse guère de ces scrupules : il a la majorité à la Chambre, cela lui suffit. Une majorité très forte même, et qui serait admirable si elle était solide ; mais nous ne croyons pas qu’elle le soit. Seulement, personne ne veut lui succéder encore. La situation n’est pas engageante : que ceux qui l’ont faite la liquident ! C’est le sentiment qui domine ; il n’est ni très avisé, ni très courageux, mais il est général. Jamais ministère n’aura tiré, pour son existence propre, un meilleur parti des procès. Il a dû le jour à celui qui a eu lieu devant le Conseil de guerre de Rennes, et il en doit la prolongation à celui qu’il a inventé lui-même et renvoyé devant la Haute-Cour. Aussi ne désespérons-nous pas de le voir en imaginer d’autres, et les perquisitions qu’il fait encore de temps en temps nous encouragent dans cette idée.

L’interpellation sur la politique générale dans les conditions où elle se produisait, c’est-à-dire avec un dénouement connu d’avance, ne pouvait donc pas avoir beaucoup de portée. Toutefois, des choses excellentes y ont été dites, notamment par M. Motte, député du Nord, qui a remplacé à la Chambre M. Jules Guesde, et par M. Méline. M. Motte a une histoire électorale qui ne laisse pas d’être piquante. Alors qu’il préparait sa candidature, dans une région qui semblait vouée au socialisme, il rencontrait devant lui de grandes difficultés, et, malgré son énergie à y faire face, son activité et son talent, il appréciait beaucoup le concours que lui prêtait un orateur venu de Paris. C’était un des plus éloquens et des plus déterminés adversaires du