Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/783

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au poulailler, si bien que, pour se figurer une rue japonaise, une rue montante, vue d’en haut ou d’en bas, il suffirait presque d’imaginer une mauvaise route aux deux bords de laquelle on eût laissé dégringoler des caisses de toute grandeur. La plupart des boutiques sont tenues par des femmes. Mais le soin de l’étalage ne répond guère à l’importance de la marchandise. La plus vulgaire pacotille s’y présente avec agrément : les pièces d’art et les riches étoffes se dissimulent et fuient la lumière.

Autour de nous, des kurumayas, vêtus d’un caleçon bleu et d’une blouse ouverte, où de gros dessins blancs tracent comme des figures géométriques, coiffés les uns d’une casquette russe, les autres de chapeaux annamites, assis entre les brancards de leur voiture, s’enveloppaient frileusement de la couverture rouge dont ils emmaillotent les pieds du voyageur. Je les eusse pris pour des moujiks, hors qu’ils étaient chaussés de sandales en paille et que le bouclier de leur tête rappelait le soleil tropical. Des hommes passaient, perchés sur leurs getas, presque tous en kimono. Ils avaient le teint jaunâtre et des faces simiesques. Leurs dents à demi déchaussées et plantées de travers leur meublaient des bouches compliquées et menaçantes. Les mâchoires cynghalaises, pour proéminentes qu’elles soient, n’atteignent pas encore à ce terrible relief. Le type de ces hommes ne différait pas sensiblement de celui des Tagals et des Annamites. Mais, les yeux déjà faits à la conformation délicate de la race malaise, je ne fus point frappé de leur petitesse.

Les femmes, très nombreuses, déconcertèrent au premier abord les idées que j’en avais conçues. Leur costume se rapprochait de celui des hommes. Elles marchaient d’une allure trotte-menu et sautillante, le corps penché, le cou allongé, les jambes en dedans, et les reins voûtés par une sorte de coussin où se noue leur ceinture. Recouvertes du haori, on dirait qu’elles voyagent avec leur literie sur le dos. Un peu bossues, un peu cagneuses, ces jeunes fées carabosses supportent des pièces montées de cheveux enduits d’un vernis brillant, traversés ou hérissés d’épingles d’écaille et qui leur font des coques et des casques de laque noire. Leurs yeux, opprimés par la boursouflure des paupières, s’échappent vers les tempes. Leur nez et leur bouche sont souvent resserrés entre leurs joues rebondies et incarnates. Leurs poupons empaquetés à leur des regardent par-dessus leur épaule ou renversent au ciel leurs petites têtes ballottantes. Quant aux