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et la garde des épées étaient voilés de crêpe, car l’Empire japonais gardait encore le deuil de la vieille Impératrice douairière qui, depuis onze mois, avait été se plaindre aux dieux des souillures dont les envahisseurs d’Europe infectaient son pays. J’examinai les attitudes et les visages. Il ne me parut point que les dignitaires japonais fussent ridicules sous leurs costumes brodés et leur tenue d’état-major. Peut-être la richesse des chamarrures couvrait-elle suffisamment leur gaucherie. Mais les habits à queue engonçaient les épaules ; leurs revers et leurs pans godaient et ballottaient sur des poitrines rétrécies et des bustes trop longs ; et les bras en pendaient raides, gênés de l’étroitesse des manches comme d’une nudité. Les figures n’avaient plus cette laideur tour à tour aplatie et saillante et presque siamoise que je rencontrais au hasard des rues ; et leur variété m’offrait des exemplaires moins rudes du type japonais. A côté de têtes déprimées, où la protubérance des pommettes semble trahir l’effort du crâne dans sa fuite en arrière, au milieu de faces tirées, crevassées, accidentées et moroses, de fins visages ambrés allongeaient leur ovale au nez aquilin, aux yeux délicatement bridés, au sourire de femme. Beaucoup se rapprochaient des nôtres, à telles enseignes que leur physionomie me remémorait des gens et des caractères connus. Ces masques japonais portaient, eux aussi, le cachet ou les stigmates des qualités et des défauts, des vertus et des vices que nous sommes accoutumés de déchiffrer sur la face aryenne.

L’Empereur parut. Il entra par une porte latérale, suivi des chambellans, des princes et des ministres. Aussitôt, Sénateurs et Députés, tous, du même mouvement unanime, harmonieux et lent que les hauts épis sous la brise, s’inclinèrent et se courbèrent devant cet homme dont l’humanité, en quelque sorte supérieure, incarnait la Patrie. Il ne me vint plus à l’esprit de critiquer la coupe de leur habillement, ni d’observer si leurs tailleurs en avaient ingénieusement adapté la mode étrangère à leurs formes indigènes. Je trouvai qu’à ce moment-là leurs habits se cambraient aux hanches et tombaient avec grâce, et que, dans une assemblée politique, le respect est encore un grand maître d’élégance.

D’une stature plus haute que les officiers de son escorte, les cheveux abondans et partagés à la naissance du front, les sourcils retroussés et les yeux légèrement obliques, la mâchoire inférieure proéminente et barbue, et la dure moue des lèvres