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pêche dans le potager, ni, je le parierais, une fleur dans le flower-garden. Je suis bien aise que vous vous soyez assis sur ce banc rond que je vois d’ici. Cela m’est arrivé plus d’une fois. Mais je suis fâché de ne vous en avoir pas recommandé un autre qui est en face de la maison, tout contre la route par laquelle on vient à pied de la porte extérieure. C’est moi qui l’y ai fait placer. Le parc vous a paru petit, cela ne m’étonne pas. Mais vous ne me dites rien du véritable jardin, c’est-à-dire de la promenade, bien plus jolie à mon gré que celle du parc, qui entoure le potager. »

Peut-être objecter- t-on que voilà des détails bien insignifians. Mais, outre qu’ils confirment ce qu’on savait déjà de la complaisance avec laquelle Louis XVIII saisissait toutes les occasions de revivre son passé, ils démontrent combien, quoique séparé de Decazes, il demeurait envers lui confiant, tendre et, pour tout dire, paternel. Les preuves de cette affection, on l’a vu, sont innombrables. Peut-être ne s’étaient-elles jamais autant multipliées que durant les premiers mois de l’ambassade de Decazes. Bientôt on les verra s’espacer, et l’intérêt qu’elles expriment se refroidira. C’est qu’une femme sera entrée dans la vie du vieux roi, aura fait le jeu des ennemis de Decazes et pris, dans le cœur que l’âge a rendu égoïste et faible, tout ce qui jusqu’à ce moment avait appartenu exclusivement au favori. A la fin de 1820, rien ne faisait prévoir encore ce changement. En toutes circonstances, le « fils » retrouvait « son père. » Quand le roi ne pouvait l’aire ce que Decazes eût souhaité, le père s’en excusait et, par le ton de ses consolations, réparait les effets de ses refus.

Comment Decazes pouvait-il croire que la faveur royale cesserait, lorsque, par exemple, le 9 août, avant-veille du deuxième anniversaire de son mariage, son prince lui avait écrit :

« Je vous ai parlé dimanche d’un anniversaire. Après-demain, il y en aura un qui m’est bien autrement cher. Le 11 août 1818 a été le plus beau jour de ma vie. Pendant dix-huit mois, il a doublé mon bonheur. Depuis six, il est mon unique consolation. En faveur de l’occasion, j’embrasse mari, femme, fils, sœur aussi tendrement qu’ils sont aimés de Louis. »

Le jour même où le roi témoignait ainsi de la fidélité de sa mémoire et de celle de son cœur, la duchesse avait dit à son mari :

— Voyons s’il se rappellera cet anniversaire de tant de bonheur et de reconnaissance pour nous.