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tout à Decazes de ne pas suffisamment tenir compte de ses instructions, d’avoir dans ses relations avec le Cabinet britannique trop d’initiative, et de s’être trop étroitement lié avec lord Castlereagh. On peut juger de son irritation par le souvenir qu’il en gardait encore lorsque, quelques années plus tard, il écrivit ses Mémoires, où on aimerait à n’en pas retrouver la trace en termes aussi vifs.

Cependant la lecture des lettres de Decazes démontre avec évidence qu’il y avait beaucoup d’exagération dans le ressentiment dont celles de Pasquier lui apportaient la preuve et que le ministre, devenu plus susceptible et plus impatient au fur et à mesure que se multipliaient, par suite des révolutions d’Espagne et de Naples, les difficultés diplomatiques, eut au moins le tort de ne pas toujours se souvenir, en écrivant à l’ambassadeur, que celui-ci était son ami et lui avait donné, étant au pouvoir, les preuves d’un rare dévouement. Blessé par le ton des observations qu’il recevait et des reproches qu’elles dissimulaient mal, Decazes répliqua, rappelant son passé, demandant si on voulait le réduire à n’être qu’un subordonné sans initiative, sans idée personnelle, qui devait uniquement se borner à transmettre les paroles qu’il entendait et à communiquer des dépêches.

En même temps, il confiait au roi combien devenait intolérable la situation qui lui était faite.

« Pasquier m’écrit en chiffres que le prince Esterhazy me trompe, que lord Castlereagh me trahit, que je dois cesser mes rapports de confiance avec eux. Il y a dans tout cela quelque chose qui me surprend fort et que je ne m’explique pas. Je mettrais bien du prix à savoir de quelle source viennent les avis. Pasquier a-t-il vu des lettres ? N’est-ce pas Caraman qui mande ce que Metternich lui a dit, ou bien n’est-ce pas Pozzo qui fait des siennes ? J’ai besoin de savoir la source pour juger l’avis. Ceci est, du reste, fort grave pour ma position et la change entièrement. Pasquier m’écrit sur tout cela avec son style raide ordinaire : Ne faites pas ceci, faites cela ; suivez mes instructions officielles. Je n’ai jamais écrit ainsi à un sous-préfet dont je faisais quelque cas. Je n’en prendrai pas moins patience, mais je crains que cela n’augmente et ne devienne intolérable. Alors le motif des couches de ma femme pourrait bien devenir un prétexte utile pour tout le monde. C’est un grand pas de fait de la part de Pasquier que de me signifier que, loin d’être utile ici, je suis