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l’organisation, le fonctionnement et les hommes des Unions, le caractère de ces chefs ouvriers, choisis parmi les plus capables et les plus dignes dont l’un devint sous-secrétaire d’Etat du ministère Gladstone, après avoir manié le pic dans la mine, tandis que d’autres ont exercé de hautes magistratures. Pourvues de capitaux, organisant elles-mêmes leurs sociétés de secours et d’assistance, elles écartent les politiciens, et manifestent un goût très modéré pour le socialisme d’Etat. Les députés ouvriers au Parlement votent avec les libéraux, et ont refusé jusqu’ici de se mettre à la remorque des partis socialistes, qui n’ont pas un seul représentant à la Chambre des communes. Les patrons anglais, remarque M. Brentano, envient ceux d’Allemagne : « Heureux entrepreneurs allemands ! s’écriait l’un d’eux, vous avez parmi vos ouvriers nombre de social-démocrates, mais vous leur payez de bas salaires : nous changerions volontiers avec vous. »

La situation n’est plus tout à fait la même, depuis la grande grève des ouvriers des docks de Londres, en 1889. Les syndicats plus récens, composés de troupes affamées, sans habileté spéciale, sans occupations stables, vivant au jour le jour d’un salaire souvent insuffisant, ont peine à prélever dans leurs associations de maigres subsides, uniquement destinés à créer des fonds de résistance. Le nombre des dockers associés, payant leurs cotisations, est bientôt tombé de 90 000 à 25 000. Aussi les nouvelles Unions se placent-elles souvent sur le terrain de la lutte des classes. Elles rompent avec l’esprit de self help, réclament l’intervention de l’Etat, des municipalités, exigent encore plus d’inspection du travail, plus de législation, plus d’impôts sur les classes riches. Leurs aspirations dépassent le socialisme d’Etat, et vont jusqu’au socialisme pur. Commencées au Congrès de Liverpool, en 1890, les discussions sur le collectivisme ont continué depuis lors ; des révolutions ont été votées en ce sens. La pensée socialiste s’infuse dans le Trade-Unionisme ; et l’esprit impatient, aventureux, des O’Grady l’emporte parfois sur la prudence des Maudsley, des Burt, des Knight, des Wood. On peut être assuré toutefois que l’ensemble des Unions ne passera pas du jour au lendemain à la social-démocratie.

Dans les colonies anglaises d’Australie et de Nouvelle-Zélande, les associations ouvrières, par suite d’une situation exceptionnelle, ont atteint un degré inouï de force et de richesse. Elles ont obtenu et généralisé quelques-unes des exigences essentielles du