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dans le bilan qu’on a dressé[1] des gaspillages, des forces perdues, dans les sociétés modernes. Pour ne citer que la dernière grève des mécaniciens anglais, l’organisation ouvrière la plus puissante et la plus riche du monde entier, elle a englouti 7 millions ; elle coûtait aux grévistes 360 000 francs par semaine. Les patrons, de leur côté, ont vu les exportations diminuer de 12 millions. Aux Etats-Unis, les grèves présentent une autre envergure. De 1881 à 1884, la statistique officielle a enregistré environ 45 000 grèves. Elles ont mis en chômage 4 millions d’ouvriers environ, et auraient coûté, en chiffres ronds, un milliard de francs aux associations, sans compter, bien entendu, les pertes des employeurs[2]. On estime le succès des grèves, en Amérique, à 45 pour 100, en France et en Angleterre, à 20 et à 22 pour 100.

A proportion que les effets des deux guerres, militaire et industrielle, deviennent désastreux, la nécessité s’impose de chercher d’autres moyens pour régler les différends, et apaiser les conflits. On préconise la conciliation et l’arbitrage, sans être encore parvenu à en assurer l’efficacité. Le gouvernement allemand a essayé de faire voter sa « loi du bagne, » Zuchthausvorlage, qui punit avec une extrême rigueur toute excitation à la grève : il vient d’échouer devant le Reichstag. M. Yves Guyot[3], en réponse à une proposition de MM. Guesde et Vaillant d’organiser légalement le droit de grève, demandait qu’on rétablît, au contraire, l’article 416 du Code pénal, abrogé malencontreusement par l’article 1er de la loi de 1884 sur les syndicats professionnels, et qui punit d’emprisonnement et d’amende les ouvriers, patrons, entrepreneurs reconnus coupables d’avoir porté atteinte au libre exercice de l’industrie et du travail… Ce ne seraient là que des palliatifs.

Le but à atteindre consisterait, comme le dit M. de Rousiers, à voir l’ère des relations diplomatiques et des discussions raisonnables succéder à l’ère de guerre perpétuelle. Entre deux puissances de même force, les chances de conflit aigu s’éloignent. La lutte est trop incertaine : on tente au préalable de discuter et de s’entendre. A mesure qu’augmente l’importance des groupemens ouvriers, leur intervention s’exerce d’une façon plus intelligente eu égard à leurs intérêts professionnels, ils cherchent à entretenir

  1. M. Novicow.
  2. Liesse, le Travail, p. 437.
  3. La Comédie socialiste, p. 391.