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tient jusqu’à la fin sous une tutelle étroite. Mais dans l’enfant royal elle prévoit et elle prépare le roi de France, celui même qui, par sa bravoure autant que par sa justice, et par la hardiesse de ses vues autant que par la sagesse de son gouvernement, va devenir l’exemplaire accompli de la royauté chrétienne et française. De tous ces traits qui font saillie et contraste, le poète n’a retenu pour les donner à sa Blanche de Castille que l’amour de la France et une sorte de coquetterie vertueuse. De même, tandis que le beau-frère de la Régente s’appelait réellement Hurepel, M. de Bornier a eu peur de ce nom hérissé et brutal. Il l’a changé en celui plus euphonique et académique de Hugonnel. Ce détail est significatif. C’est ainsi que l’auteur, pour faire entrer ces figures historiques dans son drame, les simplifie, les adoucit, usant au surplus des droits que la poésie a toujours eus sur l’histoire.

Ce qui importe ici, c’est le dialogue et ce sont les discours, c’est ce que disent les personnages dont l’auteur a fait à maintes reprises ses porte-parole. C’est le procédé dont usait Voltaire dans ses tragédies : et il me semble bien qu’il faut entendre France… d’abord dans les mêmes dispositions qu’apportait le public à une pièce de Voltaire, frémissant à tous les endroits où il reconnaissait dans les sentimens exprimés à la scène ses propres sentimens. « Il y a un intérêt général et supérieur auquel nous tous, tant que nous sommes, nous devons le sacrifice de nos intérêts particuliers, de nos sympathies et de nos haines. Il peut nous en coûter et surtout à notre orgueil. Mais si rude que soit le sacrifice, nous ne sommes pas libres de nous y soustraire. Car tout ce qui ne se fait pas pour le pays se fait contre lui. Car la société dont nous faisons partie et sans laquelle nous ne serions rien, repose sur un ensemble de traditions et de souvenirs, patrimoine commun qui n’appartient à aucun de nous et dont nous devons léguer à ceux qui viendront après nous le dépôt intact. Parmi ces traditions dont nous sommes doublement responsables, vis-à-vis de ceux qui nous ont précédés et de ceux qui nous suivront, est celle de l’honneur national. Son abandon serait la mort de la race. C’est pourquoi on ne saurait sur ce point exagérer les scrupules et se montrer trop susceptible. A ceux qui sont en haut, de comprendre la nécessité avec laquelle s’impose ce devoir de patriotisme et de l’enseigner par leur exemple à ceux qui sont en bas. Si d’aventure ils l’oubliaient, ils assumeraient une terrible responsabilité. Parfois, en effet, les événemens semblent donner à la morale publique de cruels démentis ; d’insolentes tyrannies s’élèvent sur le droit méconnu ; mais le dernier mot reste dans la reconnaissance du peuple et dans la justice de la postérité aux hommes de loyauté, de