Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/92

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’esprit qu’il fallait combattre et qui était le plus opposé à la tolérance, c’était l’esprit jacobin et terroriste, c’est-à-dire l’esprit de despotisme et de violence. La Terreur avait retardé le progrès des idées républicaines plus que cent ans de royauté. Cette âpre intolérance était plus faite pour effrayer que pour séduire. Elle s’était répandue de nouveau sur la France au lendemain du 18 fructidor. Le Directoire, effrayé de son succès, essayait en vain de retenir ses alliés de la veille. Tout était pour eux objet de soupçon et de méfiance : ils traitaient Mme de Staël d’ « intrigante déhontée, » et son ami Constant de « jeune énergumène[1]. » Ils n’avaient à la bouche que les mots de proscription et d’exil. En vain, dès 1796, Benjamin Constant signalait cette singulière disposition d’esprit de « ceux qui croient avoir bien mérité de la République, quand ils lui ont fait un ennemi de plus. » En vain, dans son discours du 9 ventôse an VI, au cercle constitutionnel, il s’élevait avec une sévère éloquence contre ces derniers vestiges de l’esprit terroriste et la crainte qu’il inspirait : « Aujourd’hui, disait-il, que tout fanatisme est éteint, que la fatigue a brisé tout enthousiasme, et que le terrorisme est frappé de l’impuissance inséparable de la fausseté, nous le craignons, comme lorsqu’il était appuyé d’une conviction profonde, fort de l’impétuosité d’un premier réveil et de quatorze siècles de souffrances ! » Les plus implacables adversaires de la tolérance, c’étaient les revenans des clubs robespierristes, et leurs jeunes adeptes, les pâles adolescens « qui, pour avoir mis en antithèses quelques phrases d’atrocité, se disent les nouveaux Tacites des Tibères nouveaux. » C’étaient eux qui maintenaient la tyrannie des mots et des formules, qui attisaient la violence et la haine. Sous prétexte que la République était en péril, ils faisaient bonne garde aux frontières, surveillaient les émigrés, dénonçaient les suspects. Ils regrettaient en leur cœur le Comité de Salut public et la Constitution de 93. Au fond, ce qu’ils représentaient, c’était l’esprit ancien, le fanatisme et l’intolérance ; la vertu des temps nouveaux, n’était-ce pas la tolérance, celle qui naît de l’étendue de l’esprit et des lumières, la « seule qui serve à ramener les hommes à l’opinion qu’on veut leur faire adopter ? »

Cette idée de tolérance, si chère à Mme de Staël, elle l’avait héritée des philosophes du XVIIIe siècle. Mais elle proclamait

  1. Lettre d’un Républicain du département de la Gironde à un de ses amis à Bordeaux, an VI.