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d’aujourd’hui, et cette société étale-t-elle sa triomphante insolence de façon si scandaleuse que le théâtre dût lui infliger, même après la cruelle satire du Prince d’Aurec, une nouvelle leçon ? Ce qui frappe l’observateur de cette société est-ce que Rodin continue de la diriger, et que les duchesses y font des « cuirs, » comme les personnages du Roman chez la portière ? Le héros de la pièce, le prince d’Entragues, est un homme de caractère indécis et, semble-t-il, peu propre à l’action, mais capable d’une certaine hardiesse d’idées et de sentimens. C’est un rêveur. Il n’aime guère son monde ; il s’y sent dépaysé ; il est « en dehors. » Il songe aux pauvres gens, aux humbles, à ceux pour qui la vie est si dure et la société si mal faite. Il voudrait remédier à leurs misères, et, pour cela, les mieux connaître. Donc il a loué à Ménilmontant un appartement où, sous un nom d’emprunt, il reçoit les ouvriers et les femmes du quartier. Ces gens l’entretiennent de leurs affaires. Il cause avec eux, leur donne des conseils. Une des scènes les meilleures du Faubourg est celle où une femme du peuple vient conter au prince qu’elle a épousé un ouvrier italien qui la battait, qui l’a quittée, et que, malgré tout ; elle voudrait bien se « remettre » avec lui. Donc le rôle des gentilshommes est-il d’aller au peuple, de se faire socialistes ? — Ce sont des questions dont on eût pu, en tout autre cas, discuter l’intérêt, mais qui ne se posent même pas ici, tant les silhouettes groupées au hasard par l’auteur du Faubourg sont vagues, incertaines, flottantes, fuyantes.

Le prince d’Entragues a épousé l’inquiétante Margit, fille d’une mère française et d’un père hongrois qui ont divorcé ? Doit-on se garder d’épouser une jeune fille parce que ses parens ont divorcé ou parce que son père est Hongrois ? Même après la pièce de M. Hermant la question reste pendante. Trompé par sa femme dont il semble très détaché, le prince d’Entragues déclare subitement qu’elle est sa femme, qu’il la garde, qu’il s’en fera aimer. D’où vient cette soudaine explosion d’énergie ou de violence chez un prince que nous avions vu jusqu’ici très faible, très résigné ? M. Abel Hermant a-t-il voulu montrer qu’on a beau être dépourvu de toute âpreté de caractère et se croire détaché d’une femme qu’on a aimée, on retrouve en soi, le moment venu de la séparation, un instinct de possession ? Cet effort du prince pour recouvrer l’amour de sa femme reste d’ailleurs inutile. Ainsi en est-il sans cesse dans cette pièce. Tout y est sans cause et sans objet, inexpliqué et décevant.

M. Guitry a eu dans le rôle du prince d’Entragues un passage excellent de naturel et de vigueur. Mais dans l’ensemble du rôle quel est