Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/935

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il leur avait lue, et que tous répétèrent en le conduisant à son dernier repos : « Nous te supplions, Seigneur, de ne point te détourner de nous, représentans de diverses familles et nations, rassemblés aujourd’hui dans la paix de cette demeure, hommes et femmes, faibles créatures qui ne vivons que grâce à ta patience. Sois patient encore, supporte-nous quelques instans de plus, avec nos aspirations vers le bien, vite arrêtées, et nos indolens efforts pour éviter le mal ; laisse-nous endurer notre vie quelques instans de plus, et, si la chose se peut, aide-nous à mieux profiter de tes admirables faveurs : ou si le moment arrive où celles-ci doivent nous être ôtées, fais que nous puissions rester hommes parmi l’affliction ! Sois avec nos amis ; sois avec nous ! Accompagne-nous dans le repos que nous allons prendre ; et si l’un de nous s’éveille, tempère pour lui les sombres heures de l’insomnie ; et quand reviendra le soleil, notre consolateur, fais en sorte que nous l’accueillions avec des visages matinaux et des cœurs matinaux, actifs à l’ouvrage, actifs au bonheur, si nous devons être heureux ; et, si la journée nous réserve des tristesses, forts pour les supporter. Et nous te remercions et nous te louons. Et nous nous rappelons les paroles de Celui à qui cette journée a été consacrée ! »


Tel était Robert Louis Stevenson, d’après ce que nous apprend de lui le recueil de ses lettres. Mais je n’ai pas assez dit combien, indépendamment de leur portée biographique, ces lettres sont touchantes et agréables à lire. Le talent de leur auteur s’y retrouve tout entier, et plus varié encore peut-être, plus mobile, plus vivant que dans les plus jolis contes qu’il nous ait laissés. Scènes familières, paysages, impressions de route, rêves et souvenirs, ce sont tour à tour les aspects les plus divers de la vie qui s’offrent à nous, tandis que nous suivons le cher poète-enfant dans son aventureuse promenade aux quatre coins du monde. Et parmi ces lettres, dont chacune nous séduit par quelque grâce imprévue et piquante, une vingtaine au moins sont des morceaux d’une beauté poétique supérieure, de véritables chefs-d’œuvre de tendresse et de fantaisie. Combien je regrette de ne pouvoir pas les traduire ! Combien j’aurais voulu, par exemple, citer la lettre où. Stevenson raconte a sa femme le séjour qu’il a fait dans une colonie de lépreux, fondée par le Père Damien, et dirigée, après sa mort, par une