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sont inspirés. S’il y a un souverain au monde qui soit digne non seulement de respect, mais de vénération, assurément c’est la reine Victoria, et, au risque d’étonner M. Chamberlain, nous lui affirmerons que ce sentiment est très général en France. Un grand pays ne peut pas être rendu responsable des imprudences de quelques caricaturistes qui, ne ménageant rien chez eux, en sont arrivés à ne plus se rendre compte de la portée de leurs coups de crayon : ils y en attachent eux-mêmes si peu ! Nous haussons nous-mêmes les épaules là où il conviendrait peut-être mieux de s’indigner. Cependant les caricatures contre la reine ont produit chez nous une impression très pénible, et elles ont été désavouées par tous les organes sérieux de l’opinion. Si on juge qu’un désaveu moral ne suffit pas, il y a des lois en France qui punissent les outrages et les offenses contre les souverains étrangers ; seulement c’est à ces souverains eux-mêmes ou à leurs représentans de les invoquer. Puisqu’ils ne l’ont pas fait, nous étions en droit de croire que ces productions inconvenantes n’avaient rencontré en haut lieu que le dédain, et c’est peut-être ce dont elles étaient dignes. En tout cas, elles ne méritaient pas le réquisitoire d’un personnage officiel comme M. Chamberlain, qui a paru beaucoup moins soucieux de venger la reine contre des traits qui ne pouvaient l’atteindre que d’exciter contre notre pays l’animosité du sien. Il n’y a pas réussi, au moins cette fois, et nous n’avons pas à y insister davantage.

Sur l’autre point de sa harangue, M. Chamberlain n’a pas été plus heureux. L’empereur Guillaume venait à peine de quitter l’Angleterre, où il s’était appliqué à maintenir à sa visite le caractère d’une démarche toute familiale, que M. Chamberlain parlait d’une alliance avec l’Allemagne. Ce n’est pas assez : il y ajoutait une alliance avec les États-Unis, et il faisait miroiter le fantôme prestigieux d’une nouvelle Triple Alliance qui aurait pesé à la fois sur l’immensité des mers et sur plusieurs grands continens. En entendant ce langage, on a éprouvé une secousse et subi comme un sursaut. Une alliance ! M. Chamberlain avouait bien que ce n’était pas une alliance proprement dite, puisqu’il n’y avait rien d’écrit, mais il ajoutait qu’à défaut de l’exactitude du mot, on avait la réalité de la chose, ce qui valait bien mieux. Et il menaçait le reste de l’univers de la puissance formidable de cette seconde Triplice. Cette fois, l’Allemagne et les États-Unis ont été sérieusement offensés d’être devenus de simples attributs oratoires de M. Chamberlain. On leur prêtait un rôle qu’ils n’avaient jamais accepté. Il y avait sans doute de bons rapports entre l’Angleterre et les deux autres pays, et peut-être même, en ce qui concerne l’Allemagne,