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l’est lord Rosebery du sens de l’opportunité, elle donne à croire que le courant qui, naguère encore, emportait l’opinion tout entière d’un seul côté s’est un peu ralenti ; peut-être même un contre-courant s’est-il produit. Lord Rosebery a fait justice des injures lancées contre la reine en disant qu’elles retombaient sur leurs auteurs. Il a regretté que M. Chamberlain y ait attaché trop d’importance. « Je regrette aussi, a-t-il dit, la façon par trop cavalière dont les Anglais traitent les autres nations. Trop pleins de nos propres vertus, nous oublions que ce qui, dans les autres, peut nous déplaire, peut, chez nous, être désagréable aux autres. C’est un fait que, dans ces dernières années, nous avons censuré quelques-unes des nations européennes d’une façon qui a dû leur donner à réfléchir et leur inspirer peu d’enthousiasme et de sympathie pour nous. Nous avons appelé une des plus anciennes nations du monde une nation malade. Nous avons comparé un grand empire au diable. Nous avons donné à entendre qu’un autre grand empire était moins étendu que nos colonies. Maintenant, nous croyons de notre devoir de dire à une nation voisine de prendre des manières plus polies. Je ne dis pas que tous ces sentimens ne soient pas justifiés ; mais, ce qui est nouveau, c’est de les entendre exprimer par des hommes responsables, sans songer assez que des paroles proférées dans un moment d’irritation peuvent, longtemps après avoir été oubliées ici, être retournées contre nous par les nations qu’elles ont offensées. » On ne saurait mieux dire, et il n’y a rien à ajouter aux judicieuses observations de lord Rosebery : nous espérons que, revenu au pouvoir, il se rappellera le langage qu’il tenait dans l’opposition et ne s’exposera pas à son tour aux reproches mérités qu’il adresse à M. Chamberlain et même à lord Salisbury. Puisse-t-il, en attendant, provoquer un mouvement de réaction contre les injustices de l’opinion britannique à notre égard. C’est une œuvre mauvaise d’entretenir l’irritation entre deux grands pays faits pour marcher ensemble à la tête du progrès, qu’aucun intérêt profond ne divise, que tout, au contraire, devrait rapprocher, et dont le conflit causerait au monde civilisé un trouble et un ébranlement tels qu’on ne peut y songer sans horreur.


FRANCIS CHARMES.


Le Directeur-Gérant,

F. BRUNETIERE.