Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 157.djvu/115

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

III

Il est peu de points de nos côtes qui aient éprouvé de plus radicales transformations dans une période de temps relativement aussi courte, puisqu’il ne s’agit en somme que d’une vingtaine de siècles à peine. C’est qu’il n’en est peut-être pas aussi qui reçoivent de plus rudes assauts de la mer et que la nature ait moins armés pour une défense prolongée. La pointe triangulaire qui forme le musoir extrême de la rive gauche de la Gironde s’appelle la péninsule de Grave, du nom d’un assez pauvre hameau habité par les gardiens du phare et du sémaphore, les pilotes, quelques pêcheurs et les inévitables douaniers. Cette pointe est constituée de dunes sablonneuses reposant sur des massifs de calcaire crayeux d’une assez mauvaise tenue, et qui paraissent être le prolongement à travers l’estuaire de la Gironde des petits coteaux qui terminent la côte de Saintonge aux abords de Meschers, de Talmont et de Royan. Les rochers de Barbe-Grise et de Saint-Nicolas sont comme des contreforts en saillie qui flanquent à droite et à gauche la pointe de Grave ; ceux de Cordouan en sont comme le bastion avancé. Ces rochers sont incessamment battus, effrités, rongés par les coups de mer. L’ensemble de la péninsule participe en outre, comme toute la côte des Landes, d’un mouvement très lent d’affaissement qui la déprime de siècle en siècle, la met tous les jours un peu plus à la merci des flots et aggrave, par suite, l’action érosive des vagues. Cette péninsule tient pour ainsi dire artificiellement au continent, et pendant longtemps elle a été en quelque sorte mobile et flottante, se déplaçant d’une manière sensible de l’Ouest à l’Est.

On ne connaît pas exactement le taux de ce déplacement depuis les temps anciens ; mais on sait d’une manière certaine qu’en l’année 1818 la pointe de Grave était plus avancée en mer, dans la direction du Nord-Ouest, de plus de 720 mètres ; la corrosion aurait donc été en moyenne de 10 à 15 mètres par an. Rien ne saurait être régulier dans ces attaques de la mer ; mais on peut sans exagération évaluer à près de 1 500 mètres la perte subie depuis le commencement du siècle. Dans certaines années, on a relevé exactement la disparition de plus de 40 mètres de plage ; et la sonde accuse des profondeurs de 10 mètres en des points où, récemment encore, il y avait à peine deux brasses d’eau. Si la