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Jusqu’à la dernière heure, il avait espéré que cette épreuve lui serait épargnée. Encore le 1er octobre, trois jours après le dernier combat de Bruxelles, un témoin intelligent dînant avec lui à Brighton, à la table royale, écrivait : « Le duc de Wellington est arrivé très calme, très assuré que les affaires belges devaient être terminées et que Bruxelles serait soumis. Après le dîner arriva le courrier de Londres, portant la nouvelle que l’armée du roi s’était retirée. Il fut accablé, atterré : « Diablement mauvaise affaire ! » s’est-il écrié[1]. » Puis, peu de jours après, répondant aux interrogations du ministre de Prusse, son langage laissait voir les plus sombres inquiétudes : « Je n’ai pas 10 000 hommes dont je puisse disposer ; ce n’est pas assez seulement pour défendre Anvers, et quant à votre corps d’armée de 40 000 hommes, il sera loin de suffire à tout ce qui naîtra de cette catastrophe[2]. » Il voyait déjà l’esprit révolutionnaire, dont le souffle venait de balayer deux trônes, répandu sur toute l’Europe, et toutes les puissances obligées de veiller à leur sécurité personnelle, ne disposant pas d’assez de force pour se protéger mutuellement.

Mais, si le trouble était grand à Londres, on peut bien penser qu’il n’était pas moindre à Paris. C’était, du premier coup, sinon perdu, au moins compromis, tout le terrain qu’on pensait avoir gagné. Les envoyés de Louis-Philippe avaient porté à toutes les Cours sa promesse formelle de respecter les traités de 1815 et la répartition des territoires que ces traités avaient consacrée. Il s’était engagé à n’y porter atteinte par aucune voie, ni directe, ni détournée ; ce n’était qu’à cette condition, plusieurs fois répétée, qu’on avait consenti à entrer en conversation avec lui. Mais voici qu’à peine l’engagement pris, survenait une épreuve qui apportait non seulement une tentation irrésistible de s’en affranchir, mais presque une impossibilité morale de le remplir. Nulle clause de ces fameux traités n’était plus expresse que celle qui plaçait le royaume des Pays-Bas sous la garantie de toutes les puissances, et, de plus, il n’y en avait aucune dont l’accomplissement dût tenir plus au cœur en particulier aux deux Etals, Prusse et Angleterre, qui avaient fait au gouvernement nouveau le meilleur accueil. Mais il n’en était aucune pourtant dont la

  1. Souvenirs tirés des papiers de Stockmar. — La princesse de Lieven au prince Léopold, p. 159.
  2. Droysen. Document déjà cité, p. 198.