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Soudain, le train s’arrêta. Des acclamations ébranlèrent nos vitres ; sur le trottoir de la gare, le comité de Mayebashi, qui s’était porté à la rencontre du candidat, s’époumonait avec ensemble. Ce fut énergique et heureusement bref. Une trentaine de kurumas nous attendaient, et notre procession galopante traversa la ville. Les petites servantes se mettaient aux portes, et, du fond des boutiques, les gens, à genoux et le corps penché en avant, se montraient du doigt le futur député. Je ne passai point inaperçu ; des cris de todjin ! todjin ! me jetaient à la figure ma qualité de barbare. Sauf un morveux qui y joignit l’épithète désobligeante de baka (imbécile), la surprise que je causai se manifesta fort décemment. Nous atteignîmes ainsi les dernières maisons, et nos voitures nous déposèrent devant un immense lit de torrent desséché, au seuil d’un enclos dont la verdure s’égayait de pruniers fleuris et de bannières.

M. Kumé, à la tête du cortège, y pénétra entre deux haies de vivats sonores, au crépitement des salves d’artillerie, et se dirigea à travers l’humble kermesse, — où des geishas en robes de crépon multicolore servaient du thé, des gâteaux et du saké, cette légère eau-de-vie de riz, — vers un grand pavillon de bois carré, que la ville de Mayebashi loue aux organisateurs de fêtes.

Là, dans la salle du premier et du seul étage, assis sur nos talons devant un hibachi, dont la chaleur s’évaporait par les châssis ouverts du balcon, nous assistâmes au défilé des notables qui venaient saluer M. Kumé. Chacun d’eux s’avançait, s’agenouillait et donnait du front contre les tatamis. M. Kumé, qui avait revêtu une redingote, en faisait autant, et leurs deux têtes, l’une à côté de l’autre, marmottaient quelquefois des mots rapides dont on n’entendait qu’une haleine sifflante, comme une oraison susurrée au confessionnal. Le plus souvent l’électeur restait muet, se retirait à la façon des écrevisses et allait s’agenouiller plus loin parmi ses compagnons qui, groupés autour d’un hibachi, débourraient leur pipe en la frappant sur le bord du brasero. M. Kumé se prosternait le mieux du monde, mais les habits européens conviennent mal à cette politesse de prosternation.

Les réceptions terminées, nous descendîmes. Sur un petit tertre ombragé d’un pin, une table figurait la tribune aux harangues. Le vieux goût japonais l’avait ornée d’un vase de bronze d’où s’élançait, artistement contournée, une branche de prunier. Le président du comité remercia M. Kumé d’être venu ;