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suffrages, comportait trente sièges, alors que le parti adverse, avec plus de vingt-deux mille suffrages, n’en obtenait que deux !

On convient que ces incohérences du scrutin risquent de livrer la majorité parlementaire et, par suite, le pouvoir, à un parti en minorité dans le corps électoral. Il ne s’agit point du cas si fréquent où, en ajoutant aux voix de la minorité le chiffre des abstentions, on constate que les élus représentent seulement une faible fraction du corps électoral pris dans son ensemble. En France, M. Victor Turquan a établi, dans une ingénieuse application de géographie statistique qui date de 1888, que les voix obtenues par les élus, aux élections législatives de 1881 pour la Chambre des députés, ne dépassaient pas 45 pour cent. Encore l’exercice du pouvoir ne revient-il pas à tous ces députés, mais seulement à la majorité d’entre eux. A cet argument on peut répondre que les abstentions sont, pour la plupart, attribuables à des indifférens ou à des indécis, et dès lors, il n’y a pas lieu de les porter à l’actif de la minorité plutôt que de la majorité. Mais, même à ne considérer que l’ensemble des votans, il se produit trop fréquemment que la minorité des électeurs emporte la majorité des sièges.

Supposons deux partis : l’un qui, massé dans la minorité des circonscriptions, y compte partout un nombre d’électeurs fort supérieur au chiffre de la majorité absolue ; l’autre qui, dominant dans le reste du pays, y possède, à l’intérieur de chaque district, une faible majorité. Le premier aura beau être le plus nombreux, c’est le second qui obtiendra la majorité au parlement[1]. Et ce n’est pas une pure hypothèse forgée pour les besoins de la cause. Le fait a été constaté plus d’une fois, dans presque tous les pays où deux partis se suivent de près. En Hollande, après la dissolution de 1886, on vit 47 613 libéraux obtenir 47 sièges, alors que 53 826 conservateurs en emportaient seulement 39. En Angleterre, lors des élections qui amenèrent la chute du dernier cabinet Gladstone, 1 436 000 électeurs libéraux n’obtinrent que 296 députés, alors que 1 122 000 conservateurs en avaient 356.

  1. Voici un exemple : 90 000 électeurs groupés en neuf circonscriptions de 10 000 votans. Le parti A, qui possède 50 000 adhérens, en compte 9 000 dans chacune des quatre premières circonscriptions et 2800 dans chacune des cinq suivantes. Le parti B, qui possède 40 000 adhérens, en compte 1 000 dans chacune des quatre premières circonscriptions et 7 200 dans chacune des cinq suivantes ; ses candidats passeront haut la main dans ces dernières et il aura ainsi cinq sièges, alors que son concurrent en obtiendra seulement quatre, malgré ses dix mille voix de majorité !