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le soutenir ; elle le soutient même encore, et M. Balfour avoue qu’il en éprouve quelque admiration ; il parle de l’esprit large, du jugement droit, et de la « généreuse tolérance » qui animent le pays tout entier. Cette tolérance est très généreuse en effet, plus sans doute qu’elle ne le serait partout ailleurs, car il nous semble que M. Balfour ait plaidé devant ses électeurs la parfaite inutilité du gouvernement. A quoi bon en avoir un, s’il n’en sait pas plus long que les simples citoyens, et si les immenses ressources dont il dispose ne lui permettent même pas de se renseigner exactement sur un autre pays, contre lequel il va engager l’honneur et la fortune du sien ? Quoi ! le gouvernement anglais n’en savait pas plus que nous sur le Transvaal ? C’est à ne pas y croire, et nous ne le croirions pas si, d’ailleurs, l’événement n’avait pas pleinement justifié une aussi extraordinaire assertion. Tout le monde, dit M. Balfour, s’est trompé sur l’état du Transvaal ; le gouvernement s’est trompé avec tout le monde ; par conséquent, il n’y a aucun reproche à lui faire. On nous permettra de dire que cela n’est pas tout à fait exact. Il y a eu, en Angleterre même, un petit nombre de voix indépendantes, — oh ! très petit, nous le reconnaissons, — qui ont donné des conseils de prudence ; et quant, à l’étranger, c’est à l’unanimité qu’il a averti l’Angleterre du danger auquel elle s’exposait. Le gouvernement n’a rien entendu, parce qu’il n’a voulu rien écouter, et l’opinion a été déplorablement égarée par lui. M. Chamberlain répétait sans cesse que 20 000 hommes suffiraient pour vaincre la résistance des Boers : il y en a aujourd’hui environ 100 000 dans l’Afrique australe, et on sait où en sont les choses.

M. Balfour n’a pas nommé M. Chamberlain ; mais il a très clairement fait allusion à lui dans plusieurs passages de son discours, où il a paru rejeter sur, son collègue la lourde responsabilité de ce qui s’est passé. Nul n’ignore aujourd’hui que M. Chamberlain a été dans le secret du raid de Jameson : si on pouvait en douter hier encore, des publications récentes ont dissipé les derniers doutes à ce sujet. La main de M. Chamberlain a été dans l’affaire, et on comprend pourquoi il s’est appliqué à en étouffer ensuite les conséquences judiciaires. Puisque M. Balfour invoque l’opinion, il est permis de dire que, sur ce point, elle est faite : elle l’est certainement en Angleterre comme ailleurs. Or M. Balfour a déclaré que le raid de Jameson, « cette très malheureuse et néfaste entreprise, » avait eu sur la suite des événemens la pire des influences ; parce qu’elle avait paralysé le gouvernement anglais et l’avait empêché de demander aux Boers des explications sur leurs arméniens. Les Boers auraient eu trop beau jeu à répondre