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IV

Il est dans la « Mode » beaucoup de déclassées qui, réduites au travail manuel, ont choisi cette profession pour son côté artistique. Le goût y est la qualité nécessaire ; ce qui donne au personnel un caractère plus relevé, plus délicat, que celui de la couture. Cela le rend aussi plus coquet ; la modiste s’attife avec un rien : d’un journal plié en deux elle se faisait une « tournure. » En un quart d’heure, tout un atelier d’ouvrières se transforma, un soir, par manière de jeu, en un salon de femmes décolletées. L’air familial d’une calme atmosphère, les visages sûrs du lendemain, que l’on rencontre en certaines maisons, et qui contrastent si fort avec les descriptions pessimistes de sociologues éminens, ne sont cependant pas, — il faut le dire, — le partage de toute la corporation. Il y a toujours des quartiers réservés à certaines branches de commerce : une centaine de boutiques formaient, dans le Palais-Royal de la Restauration, les galeries de bois appelées « le camp des Tartares, » très improprement, puisqu’il ne s’y trouvait guère que des modistes. Aujourd’hui, la rue de la Paix, où stationnent, le long de chaque trottoir, trois coupés de front entre 4 et 6 heures de l’après-midi, possède trente-sept modistes sur un parcours de 270 mètres.

C’est la mode du monde, du moins celle du « beau monde » de tous pays. Là sont les garnisseuses que l’on s’arrache à prix d’or, les « grandes premières » rétribuées même pendant leurs vacances. Ailleurs la situation change : une « bonne main, » qui peut gagner jusqu’à 150 francs par semaine pendant la saison, se fait 40 francs avec peine durant le chômage ; en descendant un à un les échelons du métier, on arrive aux apprêteuses à 2 fr. 50 par jour. D’ailleurs, dans le commerce d’exportation, dans la fabrication de gros, qui fournit la grande masse des coiffures féminines, la division du travail cesse ; chaque ouvrière établit seule son chapeau pour une somme qui varie de 3 francs jusqu’à 0 fr. 40. C’est là le dernier mot du bon marché : il s’applique au chapeau de deuil, en crêpe anglais, à 25 francs la douzaine. Une femme arrive à en faire quinze par jour ; ils se composent d’une carcasse de 0 fr. 25 et d’un mètre d’étoffe à 0 fr. 85.

Un peu au-dessus, figure le chapeau de 2 fr. 75, — prix de vente, — qui ne revient pas à plus de 1 fr. 90. Car le marchand