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manteau contre les filous. Avec quel vacarme tout cela se passait, quels cris, quelles chansons, quelles apostrophes obscènes, les contemporains ne se sont pas fait faute de le raconter. Le charivari continuait pendant la représentation : « Dans leur plus parfait repos, rapporte un témoin oculaire[1], ils ne cessent… de parler, de siffler, et de crier,.. et ils ne se soucient guère d’entendre ce que disent les comédiens. » Ils s’en souciaient encore trop, car c’était pour plaire à cette racaille qu’on jouait dans les théâtres payans des farces d’une abominable grossièreté.

La tragédie n’était goûtée que dans les hautes classes : « — Nous voyons dans la cour de France, dit un autre témoin oculaire, l’abbé d’Aubignac[2], les tragédies mieux reçues que les comédies, et que, parmi le petit peuple, les comédies et même les farces et vilaines bouffonneries de nos théâtres sont tenues plus divertissantes que les tragédies. » Le même d’Aubignac écrivait vers 1666 : « Il y a cinquante ans, une honnête femme n’osait pas aller au théâtre. » Ce n’était pas, au moins, que l’envie en manquât aux honnêtes femmes. Entre leur ardent désir de jouir du plaisir à la mode et les efforts de Richelieu pour rendre la scène moins licencieuse, il se produisit simultanément, aux environs de 1630, une épuration de la salle par l’effet d’un répertoire plus choisi, et une épuration du répertoire sous l’influence d’un public plus délicat. Une fois en train, le mouvement alla s’accélérant. « Au temps du Cid[3] ce n’est plus le peuple qui domine au théâtre : il s’en va aux foires Saint-Laurent ou Saint-Germain, sur le Pont-Neuf ou sur la place Dauphine, se presser autour des tréteaux, des charlatans et des farceurs ; ceux qu’on voit maintenant remplir le parterre et les loges, ce sont les bourgeois, le monde de plus en plus nombreux des gens de lettres, les gentilshommes, et surtout les femmes, les femmes qui, vers 1620, « n’osaient pas aller à la comédie, » et qui, en 1636, « se montraient à l’Hôtel de Bourgogne avec aussi peu de scrupules qu’à celui du Luxembourg[4]. » Le beau monde avait aussi appris le chemin du

  1. Sorel, La Maison des jeux. Le livre est de 1642, mais les plaintes qu’on vient de lire se rapportent, dit M. E. Rigal, à une époque antérieure.
  2. La pratique du théâtre.
  3. Le théâtre au temps de Corneille, par M. Gustave lleynier, dans Petit de Julleville, loc. cit. Nous rappelons que la première du Cid eut lieu en décembre 1636 ou en janvier 1637.
  4. Mairet. Épître dédicatoire des Galanteries du duc d’Ossonne, comédie jouée en 1632 et imprimée en 1636.