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complices, qui s’était pendu à son manteau pour l’arrêter. Ils arrivèrent au premier palier, « avec une promptitude qui ne se peut imaginer[1] » et de là dans une salle où Monsieur demeura « éperdu, » ne sachant où il était ni ce qu’il faisait et ne prononçant que des paroles incohérentes. En bas, devant la porte, le comte de Soissons causait avec tant de naturel, que le cardinal s’éloigna sans avoir rien remarqué. Les conjurés se hâtèrent néanmoins de prendre le large avant d’avoir la police de Richelieu à leurs trousses ; et Monsieur s’enfuit à Blois, M. le Comte à Sedan.

Le mariage de Mademoiselle se trouva compliqué par cette aventure. Il n’y avait plus d’apparence que Richelieu y donnât les mains, et l’enfant des Tuileries devenait grande fille pendant que son cousin grisonnait à Sedan. Lorsqu’elle eut quatorze ans, le comte de Soissons pensa qu’il fallait aboutir à tout prix. Il n’avait plus de ménagemens à garder ; il venait de se joindre ouvertement à nos ennemi » et d’envahir la France avec l’armée des ducs de Bouillon et de Guise. Son premier soin fut de charger l’une de ses anciennes maîtresses, Mme de Montbazon, d’achever l’ouvrage de Campion. Elle s’y prêta de bon cœur : « Je prenais grande part, raconte Mademoiselle aux affaires de M. le comte de Soissons, qui empiraient tous les jours. Le Roi alla en Champagne pour lui faire la guerre ; et durant ce voyage Mme de Montbazon, qui aimait fort le comte et qui en était fort aimée, me venait voir régulièrement tous les jours, me parlait de lui avec beaucoup d’affection, me disait qu’elle aurait une extrême joie quand je l’aurais épousé, qu’on ne s’ennuierait point alors à l’hôtel de Soissons, qu’on ne penserait qu’à m’y donner le bal et la comédie, qu’on irait aux promenades, qu’il aurait du respect pour moi et des tendresses nonpareilles. Elle ménageait tout ce qui pouvait rendre heureuse cette condition et tout ce qui, selon mon âge, pouvait m’y faire incliner. Je l’écoutais avec plaisir, et je n’avais point d’aversion pour la personne de M. le Comte… Hors la disproportion de mon âge avec le sien, mon mariage avec lui était très faisable : c’était un fort honnête homme, doué de grandes qualités, et qui, pour être cadet de sa maison, n’avait pas laissé d’être accordé avec la reine d’Angleterre[2]. »

  1. Mémoires de Montrésor. Cf. Montglat. Mémoires.
  2. Madame Henriette, troisième fille de Henri IV, lequel l’avait en effet « accordée, » quelques mois après sa naissance, avec le comte de Soissons, âgé alors de cinq ou six ans. Marie de Médicis n’en tint compte et maria sa fille à Charles Ier (1625).