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complots et les trahisons de son frère, et ajoutait qu’au moment de lui pardonner pour la sixième fois, il commençait par lui ôter les moyens de nuire, « supprimant ses compagnies de gendarmes et de chevau-légers, et le privant présentement du gouvernement d’Auvergne dont nous l’avions gratifié, et, pour l’avenir, de toute sorte d’administration en cet État… » La Déclaration fut envoyée à Mathieu Molé le 1er décembre 1642. Le jour même, le cardinal eut une crise violente, et, le lendemain, il était perdu. Il se prépara à la mort avec fermeté, ainsi qu’il convenait à un homme de sa trempe. Son confesseur lui ayant demandé « s’il ne pardonnait pas à ses ennemis, il répondit qu’il n’en avait point, que ceux de l’État[1]. » Il y a une part de vérité dans cette parole et c’est le grand titre de gloire de Richelieu. Au dehors ou au dedans, quiconque en voulait à la France, ou à son gouvernement, s’en prenait au cardinal, « toutes les hostilités étaient dirigées contre sa personne, » car il était l’obstacle. Sa politique avait été dominée par deux idées immuables, qui devinrent toujours plus arrêtées et plus volontaires. Elles consistaient à soumettre toutes les volontés particulières à l’autorité royale et à développer l’influence française en Europe. On a déjà vu la place que notre pays avait prise dans le monde sous son ministère. Richelieu avait accompli non moins victorieusement son œuvre à l’intérieur : « L’idée de la puissance monarchique, dit Ranke, était devenue comme un dogme religieux ; quiconque le rejetait devait être poursuivi avec la même rigueur et presque avec les mêmes formes que les hérétiques. » Louis XIV pouvait venir ; la monarchie absolue allait trouver son lit tout fait.

Richelieu rendit l’esprit le 4 décembre 1642. La nouvelle en fut aussitôt portée au roi, qui « se contenta de dire : « Il est mort un grand politique[2]. » À l’étranger, nos ennemis eurent « grand contentement, » et nos alliés « grand déplaisir, » parce qu’ils eurent également la pensée « que tout irait de travers et serait sens dessus dessous[3]. » En France, le soulagement fut universel. Personne ne doutait que la mort du cardinal ne fût le signal d’une révolution. Les bannis s’attendaient à être rappelés, les prisonniers à être délivrés. L’opposition comptait entrer au pouvoir et les grands rêvaient d’une abbaye de Thélème, Quant

  1. Montglat.
  2. Pontis. Mémoires.
  3. Montglat, Mémoires