Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 157.djvu/954

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ministérielle prendrait alors l’apparence d’une de ces formidables coalitions républicaines qui dressent un gouvernement comme dans une apothéose. On dit donc à la droite : « Ne bougez pas, vous perdriez tout, vous consolideriez le cabinet en l’attaquant. »

Plus à gauche, on trouve M. Méline, entouré d’un nombre très respectable d’amis : tout compte fait, ce groupe est encore le plus nombreux et le plus compact de l’Assemblée, et peut-être aussi le seul qui sache parfaitement ce qu’il veut. Mais les radicaux ont senti le danger qui pouvait venir de là, et ils ont entrepris de persuader à un certain nombre de modérés que M. Méline était, comme on dit, impossible. Ils ont merveilleusement réussi dans cette tâche, et sur presque tous les bancs de la Chambre on dit à M. Méline : « Ne vous montrez pas, vous compromettriez tout, vous fortifieriez le cabinet, vous lui rendriez service. »

Allons encore plus à gauche. Nous y rencontrons cette fraction du centre, qui se croit la plus politique de toutes parce qu’elle ménage tout particulièrement les radicaux avec lesquels elle voisine, et quelquefois même les socialistes. Il y a là beaucoup d’intelligence générale sinon de véritable esprit politique, et nul ne s’y fait aucune illusion sur le péril de plus en plus grand que le ministère fait courir à la République. Faut-il en conclure que c’est de là que partira le signal contre le cabinet ? Non. Les hommes de ce groupe tiennent surtout à se réserver, et à peu près sûrs de profiter de toutes les catastrophes ministérielles, ils les attendent patiemment sans se donner la peine d’y contribuer. Leur principale préoccupation est la crainte que le mouvement ne prenne naissance à leur droite ; ils le voudraient à leur gauche, et ils regardent obstinément du côté des radicaux pour surprendre parmi eux les moindres symptômes d’irritation contre le cabinet. Ah ! disent-ils, combien il serait bon que l’attaque vînt des radicaux ! Alors nous ne serions pas suspects de modérantisme en le suivant ! Et ils le suivraient ! Et le groupe Méline le suivrait ! Et la droite le suivrait ! Une grosse majorité antiministérielle surgirait tout d’un coup, et sans doute elle contiendrait des élémens fort disparates, dont la réunion pourrait prêter à de mauvais commentaires, mais tout serait compensé et sauvé par la présence d’une ou de deux douzaines de radicaux, qui serviraient de garantie à cette masse un peu mêlée et la teindraient de leur couleur. Nous n’exagérons rien, c’est ainsi qu’on raisonne dans cette fraction du centre, qui compte peut-être les hommes les plus distingués de l’assemblée. Leur tort est de n’avoir pas une assez grande confiance dans leur propre valeur.