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unes après les autres, les dames crottées et mouillées, qui avaient usé des ressources les plus burlesques : des duchesses avaient fait décharger le fourgon de la vaisselle d’argent et y étaient montées avec leur habit de cour, ayant pour coussins des bottes de paille. L’aventure était piquante ; la Reine dit avec gaieté qu’elle en commanderait le tableau à un peintre, et ce fut Lancret qu’on lui fit choisir.

Le matin du 4 septembre, qui devait être le jour de l’entrevue de Leurs Majestés, la Reine s’étant levée à dix heures, une présentation unique eut lieu, celle de M. l’ancien évoque de Fréjus. On avait tant parlé à Marie de l’influence que ce personnage avait sur le Roi qu’elle dut l’accueillir avec une curiosité un peu inquiète. Les récits nous disent qu’elle traita « d’une manière digne de son mérite le sage et vertueux prélat, » et qu’il se rendit aussitôt à l’église collégiale pour y recevoir Sa Majesté et y exercer pour la première fois la fonction de sa charge de grand aumônier. Marie écouta cette messe avec une dévotion particulière, en pensant que, le jour même, ses désirs allaient être comblés et qu’elle verrait l’époux destiné.


VI

La rencontre devait avoir lieu vers quatre heures. Marie avait quitté Montereau après dîner, dans son habit de noces de Strasbourg. Une demi-lieue après le départ, un cavalier vint avertir que le carrosse du Roi attendait sur la hauteur de Froidefontaine. Les équipages de la cour raccompagnaient avec des détachemens de la maison du Roi, et tout le populaire du pays, à quinze lieues à la ronde, était massé sur les bords de la route. Le temps était doux et tiède ; la pluie avait cessé, et un arc-en-ciel d’un excellent présage venait de paraître sur l’horizon. Des bandes de violons jouaient des airs d’allégresse, et le peuple, de plus en plus nombreux à mesure que montait le carrosse de la Reine, l’applaudissait et mêlait son nom à celui de Louis XV.

Quand on s’arrête, Marie se hâte de descendre et, suivant le cérémonial, elle va se mettre aux genoux du beau prince, qui s’approche entouré de dames en grand habit. Mais il lui laisse à peine le temps de toucher le tapis qu’on a jeté devant elle ; il la relève et l’embrasse à plusieurs reprises. Tous les yeux la regardent en ce moment : elle paraît agréable de sa personne et point