Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 158.djvu/150

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soient d’invention pure et que certains incidens et quelques allusions viennent comme piquer çà et là un peu de couleur locale, c’est la définition d’une tragédie assez mal conçue. Il faut qu’il y ait histoire et imagination mêlées, ou plutôt histoire prolongée et développée par l’imagination dans la fable, dans l’intrigue, dans les caractères et dans les incidens. C’est certainement cette combinaison continue et l’harmonie qui en résulte que le spectateur ou le lecteur demandent.

Il n’y a rien, donc, de plus mixte, de plus hybride et de plus faux par définition que la tragédie et l’on en pourrait dire, en remaniant quelques vers de Voltaire sur le drame bourgeois, que c’est un genre


Qui défigure à la fois et qui brave
Dans son jargon Melpomène et Clio.


Et il y a cependant quelques belles tragédies de par le monde.

Autant, exactement, on en peut dire du roman historique.

Le roman historique est une tragédie qui n’est pas en dialogue et qui n’a pas besoin d’acteurs. Les élémens du roman historique sont absolument les mêmes que ceux de la tragédie, et il n’y aurait pas beaucoup d’inconvéniens à se donner pour règle de les combiner d’après les mêmes lois selon lesquelles on les doit combiner dans la tragédie.

Le roman historique est donc, comme beaucoup d’autres, un genre faux dont on n’aperçoit la fausseté que lorsque l’œuvre est mauvaise. Pour en parler mieux, c’est un genre conventionnel. Par convention, l’on admet qu’il va se présenter à nous un historien qui aura de l’imagination et qui ne la réprimera point, ou un homme d’imagination qui prendra la matière première de son œuvre dans l’histoire, au lieu de la prendre autour de lui, comme le romancier d’observation, ou en lui, comme le romancier romanesque. Cette convention a ses dangers comme toutes les conventions artistiques ; mais elle est naturelle, puisqu’il y a des épopées et des tragédies, sinon depuis que le monde existe, du moins depuis les premiers âges que nous en connaissions.

On peut répondre : le roman historique n’est pas faux, seulement, comme la tragédie ou l’épopée ; il est faux par rapport à la tragédie et à l’épopée, en ce sens qu’il en est comme une déformation et, par conséquent, adultération de choses déjà fausses ;