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Ranuccio, invitait Louis Carrache à se rendre auprès de son frère le cardinal et à emmener Annibal avec lui. Louis aurait répondu par un refus, ne voulant pas quitter son pays où, en dépit du proverbe, il était prophète, pour risquer sa réputation sur un théâtre étranger. Il aurait, en conséquence, écrit au duc pour le remercier et le prier d’agréer qu’Augustin le remplaçât. Cette lettre n’a malheureusement pas été transcrite dans la Felsina, et Malvasia s’est montré trop peu scrupuleux dans ses écrits pour qu’on accueille ses assertions les yeux fermés.

Une lettre d’Annibal, publiée récemment par le comte Francesco Malaguzzi, fixe d’une façon indubitable un certain nombre de points importans. Il en ressort, par exemple, qu’Odoardo avait fait, antérieurement au mois de juillet 1595, une offre très honorable au plus jeune des Carrache, et que celui-ci s’était engagé à entrer au service du cardinal, à la fin de l’été romain, c’est-à-dire vers le mois d’octobre de cette même année. Au moment où Annibal acceptait la proposition de Farnèse, il était surchargé de travaux, dont quelques-uns avaient un tel caractère d’urgence qu’il entreprit de les mener à bonne fin avant son départ. Il se réserva la faculté de terminer les autres à Rome, ou de revenir, pour remplir ses engagemens, à la collaboration de son frère et de son cousin. Une confrérie de Reggio avait obtenu qu’il peignît pour elle un Saint-Roch. Ne sachant comment satisfaire aux pressantes réclamations des confratelli, Annibal leur proposa de laisser le tableau à Louis, « comme au peintre, écrit-il, que je crois en conscience être le premier de la ville. » Les intéressés ne l’entendirent pas ainsi. Ils répondirent en confessant que le cardinal Farnèse méritait à la vérité de passer avant tout le monde ; ils n’en insistaient pas moins pour que le panneau fût terminé par Annibal dont la modestie ne pouvait faire oublier le talent.

Ces détails autorisent à penser que le Bolonais se rendit à Rome dans les derniers mois de l’année 1595. Baglione, le premier écrivain qui ait entrepris de donner une suite aux Vies de Vasari, écrit qu’Annibal fut reçu avec distinction par le cardinal Odoardo, qui lui donna un logement dans son palais. Le docte Bellori ajoute que Farnèse lui alloua dix écus par mois, sans compter le pain et le vin pour deux jeunes gens : c’était, paraît-il, le traitement affecté aux gentilshommes qui composaient la cour du cardinal.